Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/729

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait posé son bâton et son sac dans le salon, et il descendit pour voir si le carnet ne s’y trouvait pas. Il y rencontra sa mère, qui, elle aussi, paraissait agitée. — Qu’est-ce que nous cherchons ? lui dit-elle.

— Un mauvais petit livre de poche où j’écris mes notes…

— Il est là, dit-elle en ouvrant un tiroir. Je l’ai trouvé ce matin en rangeant, et je l’ai serré.

— Si tu l’as lu, reprit André en mettant le carnet dans sa poche, tu as dû me croire fou.

— Lu ? Mon Dieu non, je ne suis pas curieuse de l’écriture, que je n’ai jamais lue bien facilement ; mais pourquoi me dis-tu que tu peux paraître fou ?

— Parce que… Dis-moi d’abord pourquoi tu parais, toi, inquiète et contrariée.

— Oh ! moi, je peux le dire. Je suis furieuse de penser que nous allons conduire ce joli cœur à Marianne, et que, l’ayant reçu et accueilli, nous voilà forcés de le trouver charmant devant elle. Eh bien ! non ! Quant à moi, je ne ferai pas ce mensonge, je le trouve ridicule et insupportable, et je ne promets pas de ne pas laisser voir ce que je pense de lui.

— Tu le juges trop vite, répondit Pierre en s’asseyant auprès de sa mère, qui s’était jetée avec humeur sur le sofa. Ce n’est ni une bête, ni un méchant garçon ; ses manières, qui ont trop d’aplomb, j’en conviens, plairont peut-être à Marianne, qui sait ? Marianne n’a peut-être pas tout le jugement que tu lui attribues, et que sur ta parole je lui ai attribué aussi.

— Marianne a beaucoup d’esprit, s’écria Mme André, et beaucoup de raison ; tu ne la connais pas.

— C’est vrai ; elle est très mystérieuse pour moi.

— C’est ta faute ; tu lui parles si peu et tu profites si mal des occasions de la connaître !

— C’est un peu ma faute, mais encore plus la tienne. Je t’assure qu’elle aime le rôle de sphinx, et, moi, je n’ai pas la hardiesse de Philippe Gaucher pour soulever le voile de pudeur d’une jeune fille. Elle a beau être une enfant pour moi, c’est une femme, et je ne sais pas brutaliser la réserve d’une femme.



XV.


Mme André réfléchit quelques instans, puis elle prit la main de son fils et lui dit : — Tu es timide, trop timide ! Si tu l’avais voulu, c’est toi que Marianne eût aimé, toi, toi seul qu’elle eût épousé.