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promit de changer tout ça, pour peu qu’il y eût des bâtimens convenables. Malheureusement il n’y en avait pas, et Marianne, qui attendait ses hôtes au seuil de la chambre des métayers, les y fit entrer, ni plus ni moins que s’ils eussent été de simples paysans. Marianne avait pourtant son petit sanctuaire très coquet de l’autre côté de la cloison ; mais elle n’était pas disposée encore à y admettre un étranger, et Pierre lui sut gré de ne pas en accorder l’entrée si vite à son nouvel hôte.

Marianne, après avoir embrassé Mme André, tendu la main à son parrain et salué sans timidité le convive qu’on lui présentait, emmena Mme André dans sa chambre afin qu’elle se débarrassât de son châle et de son voile noir. En ce temps-là, les bourgeoises pauvres ne portaient guère de chapeaux ; elles sortaient avec un voile sur leur bonnet de linge blanc.


XIX.

Pierre s’amusait intérieurement de la déconvenue de Philippe, que celui-ci dissimulait de son mieux sous un air enjoué. Il ne se doutait pas de la simplicité, je dirai même de la rusticité des habitudes de nos propriétaires campagnards en ce pays et à cette époque. Marianne n’avait rien changé d’apparent à ses habitudes d’enfance. Longtemps elle n’avait pas eu d’autre salon que cette grande pièce à solives enfumées d’où pendaient des grappes d’oignons dorés, et au centre de laquelle, en guise de lustre, se balançait la cage à claire-voie où l’on met les fromages. Les paysans sont très propres dans cette région. Si les poules et les canards pénètrent à tout moment dans l’intérieur, la ménagère, armée du balai, est incessamment sur pied pour les chasser et faire disparaître les traces de leur passage. Les lits et tous les meubles sont frottés et luisans, la vaisselle brille de netteté sur le dressoir ; mais ces grands lits de serge jaune, fanés jusqu’à avoir pris la teinte feuille morte, la noire cheminée à crémaillère encombrée de pots, de chats et d’enfans, le dallage inégal et crevassé, la petitesse de l’unique fenêtre, l’écrasement d’un plafond garni de provisions et d’ustensiles qu’il faut éviter en marchant, tout cela n’offrait pas au jeune Parisien l’idée d’un bien-être suffisant, et il ne pouvait même pas rêver un atelier de peinture dans ce local sans lumière et sans élévation.

Comme il y avait de la finesse sous sa pétulance, il se garda bien de dire à André un mot qui exprimât son déplaisir. Il se contenta de demander si c’était là qu’on allait dîner. — Je le présume, répondit Pierre. Mme Chevreuse a bien quelque part un petit appartement ; mais depuis qu’elle l’a fait arranger, je n’y suis pas entré, et