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— Qu’est-ce que le type duchesse ? Je ne suis pas comme vous, je n’ai pas beaucoup vu le monde.

— Est-ce pour ça que vous êtes aujourd’hui d’une humeur massacrante ? dit Philippe en riant.


XX.

L’apparition de Marianne et de Mme André mit fin à ce dialogue. Elles passaient dans le jardin, et on s’empressa de les y rejoindre, Pierre déclara à sa filleule qu’ayant été exclu si longtemps de son sanctuaire, il ne le connaissait plus et voulait voir les changemens qu’elle y avait faits.

— Vous n’en trouverez aucun, répondit-elle ; mon père aimait son jardin, il l’avait planté lui-même ; je n’ai rien voulu détruire, et puis les métayers ont droit à leur part de légumes. Le temps s’est chargé de faire mourir beaucoup d’arbres, et la gelée a emporté beaucoup d’arbustes. Il en a poussé de plus rustiques, et le fond de l’enclos, au bout du verger, dont mon père avait voulu faire une pépinière, est devenu tout à fait sauvage.

— Je veux voir ça, dit Pierre, je me souviens que c’était très mouillé, et j’avais prédit à ton père que ses arbres d’ornement n’y réussiraient pas.

— Allez-y seul, parrain, répondit Marianne ; c’est un peu humide et raboteux pour Mme André.

Pierre traversa le verger et pénétra dans l’ancienne pépinière, qui occupait une langue de terrain fermé de haies très élevées et que traversait le ruisseau. Il y fut saisi d’une sorte de ravissement. Marianne avait laissé la nature faire tous les frais de ce petit parc naturel. L’herbe y avait poussé haute et drue en certains endroits, courte et fleurie en d’autres, selon le caprice des nombreux filets d’eau qui se détachaient du ruisseau pour y rentrer après de paresseux détours dans les déchirures du sol. Ce sol, léger, noir et mélangé de sable fin, était particulièrement propice à la flore du pays, et toutes les plantes rustiques s’y étaient donné rendez-vous. Les iris foisonnaient dans l’eau avec les nymphéas blancs et jaunes. L’aubépine et le sureau avaient poussé en arbres luxurians. Toutes les orchidées si variées du pays diapraient les gazons avec mille autres fleurs charmantes, les myosotis de diverses espèces, les silènes découpées, les parnassies, les jacynthes sauvages, quelques-unes blanches, toutes adorablement parfumées. Les renflemens du terrain, étant plus secs, avaient gardé leurs bruyères roses et leurs genêts rampans, que perçaient de leurs blanches étoiles, roses en dessous, les anémones sylvestres.