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— Je ne veux pas avoir l’air de les surveiller, et s’ils font une promenade sentimentale dans le bois de hêtres, je ne veux pas, en les cherchant, attirer sur Marianne l’attention des gens de la ferme.

Ils rentrèrent au salon, d’où Marichette s’était retirée, et ils attendirent encore un quart d’heure. Mme André était pleine de dépit et d’anxiété. Pierre était muet et comme brisé. Enfin Marianne entra seule, un peu agitée, quoique souriante. — Pardonnez-moi, ma bonne amie, dit-elle en embrassant Mme André, je vous fais bien mal les honneurs de chez moi ; mais c’est votre faute. Pourquoi m’avez-vous amené un hôte si entreprenant ?

— Entreprenant ? dit Pierre avec une amertume ironique.

— Eh oui ! Il veut qu’au bout de trois heures je l’aime et lui promette de l’épouser. C’est un peu vite, convenez-en !

— Ce n’est pas trop vite, s’il a réussi à te décider.

— Je suis décidée ! dit Marianne.

— Alors, reprit Pierre navré, tu viens nous annoncer ton prochain mariage. Pourquoi n’est-il pas là pour nous dire son triomphe ?

— Oh ! il a le triomphe modeste ; il est parti.

— Il retourne seul à Dolmor ?

— Non, il retourne à Paris,

— Acheter les livrées ? dit Mme André, qui entendait par là, comme les gens de campagne, les cadeaux de noces.

— Il les achètera sans doute bientôt pour une Parisienne, répondit Marianne, car il m’a déclaré en avoir assez des demoiselles de campagne.


XXIII.

Mme André se leva toute droite en s’écriant : — Ainsi tout est rompu !

Marianne regarda Pierre, qui n’avait pu contenir un cri de joie.

— En êtes-vous content, mon parrain ? dit-elle.

— Non, si tu le regrettes !

— Je ne le regrette pas. Il n’avait pour lui que son audace, qui d’abord m’avait donné bonne opinion de lui. Je me disais qu’avec un homme si décidé je n’aurais jamais la peine d’avoir une volonté à moi, et je trouvais cela très commode ; mais, quand on ne doute de rien, il faut avoir beaucoup de jugement, et au bout de trois de ses paroles j’ai vu qu’il pouvait avoir du cœur, de l’esprit et de la bonté, mais pas l’ombre de raison. Qu’est-ce que je deviendrais, moi si nulle et si faible, avec un maître sans cervelle ? Ce n’est pas possible, et, comme il voulait absolument savoir mon opinion sur