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nationaux, il demanda naïvement pourquoi l’on n’étendrait pas le même bienfait à toutes les Russies[1] ? Le comte Rechberg, le fatal ministre qui dirigeait alors les affaires extérieures à Vienne, éprouva de son côté le besoin de se montrer compatissant ; il s’accorda le malin et bien coûteux plaisir de payer au cabinet de Saint-Pétersbourg, en monnaie polonaise, les sympathies que ce dernier avait témoignées à la cause italienne. Comme si l’Autriche n’avait pas assez souffert déjà des griefs imaginaires des Moscovites au sujet de la prétendue « trahison » pendant la guerre de Crimée, il tint à leur donner des griefs fort légitimes par une « connivence[2] » très réelle en Gallicie : la Gallicie devint en effet le refuge, la place d’armes et la place de ravitaillement pour les insurgés du royaume.

Il est juste de reconnaître que le gouvernement français avait longtemps hésité avant de s’engager dans une voie aussi périlleuse. Dès les premiers temps de l’agitation polonaise, une note publiée dans le Moniteur du 23 avril 1861 avait mis la presse et l’opinion publique en garde contre « la supposition que le gouvernement de l’empereur encourageait des espérances qu’il ne pourrait satisfaire. » — « Les idées généreuses du tsar, continuait la note du Moniteur, sont un gage certain de son désir de réaliser les améliorations que comporte l’état de la Pologne, et il faut faire des vœux pour qu’il n’en soit pas empêché par des manifestations irritantes. » Le gouvernement français persévéra dans cette attitude sensée et tout amicale pour le tsar pendant les années 1861 et 1862, malgré l’intérêt que la presse parisienne ne cessait de prendre aux événemens « dramatiques » de Varsovie, malgré plusieurs débats animés qui eurent lieu dans les chambres anglaises, et qui furent plutôt à l’adresse de la France que de la Russie. Les hommes d’état britanniques en effet n’avaient pas jugé inutile pendant ces deux années 1861 et 1862 d’embarrasser quelque peu le cabinet des Tuileries dans ses penchans très prononcés pour l’alliance russe par l’évocation fréquente et sympathique du nom de la Pologne. Lord Palmerston surtout, dans un discours très spirituel du 4 avril 1862, se mit à exalter les Polonais, à célébrer leur patriotisme « indomptable, inextinguible, inépuisable, » tout en ne négligeant pas de leur rappeler les cruelles déceptions que leur avait déjà causées « à une autre époque » un empereur français. Napoléon III résistait toujours

  1. « Pourquoi en effet des institutions représentatives ne seraient-elles pas accordées en même temps au royaume de Pologne et à l’empire de Russie ? » Dépêche de lord John Russell à lord Napier, du 10 avril 1863.
  2. « Cette connivence de l’Autriche n’est pas ce qu’il y a de moins remarquable dans l’histoire de cette insurrection. » Dépêche confidentielle de M. de Tengoborski à M. d’Oubril, 4 février 1863.