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d’abandonner les provinces de l’Elbe aux souverains de la Prusse et de l’Autriche, M. de Bismarck en concluait que les deux monarques pouvaient disposer de leur « propriété » suivant leur convenance, sans aucune intervention du Bund, et il demandait à l’empereur François-Joseph de céder sa part de conquête contre de beaux deniers comptans. Cette impudente prétention, le ministre prussien finit par la formuler dans une dépêche hautaine et pleine de menaces, datée le 11 juillet 1665 de Carlsbad, de l’endroit même où le vieux roi Guillaume était venu jouir de l’hospitalité autrichienne durant la saison des eaux. L’alerte fut vive pendant quelques semaines. M. de Bismarck ne faisait pas mystère des négociations qu’il venait d’entamer avec l’Italie ; il disait à M. de Gramont « que, loin de redouter la guerre, il l’appelait de tous ses vœux ; » quelques jours après, il déclarait même à M. de Pfordten, président du conseil de Bavière, « que l’Autriche ne saurait soutenir une campagne, qu’il suffirait de porter un seul coup, de livrer une seule et grande bataille du côté de la Silésie pour avoir raison du Habsbourg. » Au fond, il ne voulait que tâter le terrain et faire une forte reconnaissance. À ce moment, il n’était pas encore assez sûr des dispositions de l’empereur Napoléon III pour oser risquer le grand enjeu ; il fallait du temps aussi avant d’amener le pieux Hohenzollern à prononcer le « Dieu le veult ! » d’une guerre fratricide. Il dut se contenter de cette convention de Gastein (14 août 1865), qui ne fut qu’un arrangement provisoire, une première brèche faite pourtant aux droits du Bund et comme une consécration indirecte des conclusions qu’il avait prétendu tirer de l’arrêt prononcé par les fameux syndics de la couronne.

Le jour même où il signait à Gastein cette transaction équivoque, M. de Bismarck écrivait à sa femme un petit billet ainsi conçu : « Je n’ai pas trouvé pendant plusieurs jours un moment de loisir pour te donner de mes nouvelles. Le comte Blome est de nouveau ici, et nous faisons notre possible pour conserver la paix et boucher les crevasses de l’édifice. Avant-hier j’ai consacré une journée entière à la chasse. Je crois t’avoir écrit que je suis revenu bredouille de ma première expédition ; cette fois j’ai du moins abattu une biche, mais je n’ai vu rien autre chose pendant les trois heures que je me livrais sans broncher aux expérimentations de toutes les espèces d’insectes, et que la bruyante activité de la cascade au-dessous de moi m’arrachait du cœur le cri : Petit ruisseau, laisse là ton murmure[1]. Après tout, c’était un très beau coup tiré à travers le précipice : l’animal, tué raide, tomba les quatre pattes en l’air de la

  1. Vers d’une chanson allemande.