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pareille semonce que M. de Bismarck répondit par la lettre intime qui suit et qu’une indiscrétion heureuse a depuis livrée à la publicité, lettre bien caractéristique assurément, et qui fait encore une fois penser à ce Cromwell dont le souvenir a été déjà si souvent évoqué dans le cours de cette étude.


« Cher André[1], bien que mon temps soit très mesuré, je ne puis cependant me refuser à répondre à une interpellation qui m’est adressée par un cœur honnête et sous l’invocation du Christ. Je suis profondément peiné de causer du scandale aux chrétiens qui ont la foi, mais j’ai la certitude que c’est là une chose inévitable dans ma situation. Je ne parlerai déjà pas des camps qui me sont nécessairement opposés en politique, et qui n’en comptent pas moins dans leur sein un grand nombre de chrétiens, des gens qui m’ont de beaucoup devancé dans la voie du salut, et avec lesquels cependant je dois être en lutte pour des choses qui, à mon sentiment comme au leur, sont des choses terrestres ; j’en appellerai seulement à ce que vous dites vous-même : « que rien de ce qui est omis ou commis dans les régions élevées ne demeure caché. » Où est l’homme qui, dans une pareille situation, ne causerait pas de scandale à tort ou à raison ? Je vous accorderai bien plus encore, car votre expression « ne demeure caché » n’est point exacte. Plût à Dieu qu’en dehors des péchés que le monde me connaît je n’en eusse pas sur mon âme d’autres qui restent ignorés et pour lesquels je ne puis espérer de pardon que de ma foi dans le sang du Christ ! Comme homme d’état, je crois même user de beaucoup trop de ménagemens encore ; d’après mon sentiment, je suis plutôt lâche, et cela parce qu’il n’est pas si facile dans des questions qui se posent devant moi d’arriver toujours à cette clarté au fond de laquelle s’épanouit la confiance en Dieu. Celui qui me reproche d’être un homme politique sans conscience me fait du tort ; il devrait d’abord commencer par éprouver lui-même sa conscience sur ce champ de combat. Pour ce qui regarde l’affaire de Virchow, j’ai de longtemps dépassé l’âge où, dans de pareilles questions, on demande conseil à ce qui est chair et sang ; si j’expose ma vie pour une cause, je le fais dans cette foi que j’ai fortifiée par un combat long et pénible, mais aussi par la prière fervente et humble devant Dieu ; cette foi, la parole de l’homme ne peut la renverser, pas même la parole d’un ami dans le Seigneur et d’un serviteur de l’église. Il n’est point vrai que je ne fréquente jamais une église. Depuis tantôt sept mois, je suis ou absent (de Berlin) ou malade ; qui donc a pu faire l’observation de ma négligence ? Je conviens volontiers que cela a pu arriver souvent, bien moins par le manque de temps que par des

  1. On a tâché de conserver à la traduction le caractère d’édifiante obscurité qui distingue l’original.