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réaction, de la légitimité et du pouvoir temporel, ils chérissaient dans le royaume de Frédéric le Grand le représentant incontestable de la civilisation, et tremblaient de le voir aller au-devant d’une défaite certaine dans une lutte inégale avec les kaiserliks. A les entendre, ce n’était pas trop de l’action réunie de la France, de l’Italie et de la Prusse pour sauver la cause du progrès et pour asseoir l’Europe sur des bases nouvelles et inébranlables. Pourquoi du reste la Belgique ne deviendrait-elle pas la récompense légitime des efforts français en faveur de l’Allemagne, ainsi que l’était devenue la Savoie à la suite de la constitution du royaume d’Italie, et comment se refuser à une combinaison dans laquelle chacune des trois nations représentant par excellence les idées modernes sur le continent était appelée à compléter son unité respective ?

Bien différent était à cet égard le sentiment des anciens, des hommes d’état de la vieille école, de tout un groupe politique dont M. Drouyn de Lhuys fut alors au sein du cabinet le représentant le plus autorisé et clairvoyant, sinon le plus ferme. Écartant d’abord toute velléité concernant la Belgique comme une cause certaine d’un conflit formidable avec l’Angleterre, ils affirmaient l’impossibilité absolue de trouver pour la France une compensation tant soit peu en rapport avec le dommage que lui causerait l’unification de l’Allemagne. Sans méconnaître les aspirations germaniques à une réforme fédérale, à une constitution plus homogène et plus unitaire, ils se demandaient où était pour la France l’obligation de hâter une telle œuvre, et s’il n’était pas dans tous les cas plus désirable qu’une transformation pareille s’accomplît par les classes éclairées et pacifiques, par la diète fédérale, voire par l’Autriche, — de tout temps respectueuse pour les droits acquis et les souverainetés particulières, — plutôt que par une puissance au premier chef militaire, bureaucratique et centralisatrice ? N’était-ce pas là du reste le vœu presque général de l’autre côté du Rhin, des dynasties aussi bien que des chambres, des princes aussi bien que des peuples, et la prétention de la Prusse entre autres de confisquer à son profit la conquête faite sur le Danemark ne venait-elle pas d’y soulever toutes les consciences ? Il n’y avait que la presse de la France et de l’Italie qui s’obstinât à parler de la « mission piémontaise » du Hohenzollern ; sur le bord du Mein et de l’Elbe, tout le monde repoussait cette prétendue mission, et il n’est pas jusqu’au National Verein, bien déconsidéré depuis quelque temps d’ailleurs, qui, tout en réclamant « une Allemagne unie avec une pointe prussienne, » n’en répudiât pas moins M. de Bismarck et ne le déclarât indigne de prendre en main une cause aussi sainte. Quant au danger de voir la Prusse succomber dans la lutte et rendre par là le