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Mignet se rapportent à ces deux sujets également dignes des recherches de l’historien et des méditations de l’homme d’état, l’histoire de la révolution et l’histoire du siècle de la réforme.

C’est au milieu des luttes de la restauration que les destinées de la révolution française attirèrent la pensée de M. Mignet. Dès l’année 1824, il publiait les deux volumes où le chaos des temps révolutionnaires, soumis, pour ainsi dire, à une intelligence aussi précise que forte, se débrouillait à la lumière d’une logique supérieure et présentait un sens à la philosophie de l’histoire. C’est là un de ces livres qui une fois exécutés sont comme une richesse acquise au patrimoine public : ϰτῆμα εἰς αἰεί (ktêma eis aiei). Discutés, contestés, peu importe, ils gardent imperturbablement leur physionomie première ; la forme, comme le fond, en est arrêtée pour toujours. M. Mignet lui-même ne pouvait rien ajouter à cette interprétation magistrale des événemens qui ont renouvelé le monde ; il ne pouvait que reprendre le sujet en détail, et, après avoir établi la loi générale des faits, exposer le rôle particulier des hommes. Tel est précisément l’intérêt de ces belles études que l’historien de la révolution a consacrées à un certain nombre de personnages, acteurs dans ce terrible drame, et tour à tour, suivant les péripéties de l’action, témoins à charge ou à décharge. En retraçant d’une main sûre tant de figures diverses, — Sieyès, Talleyrand, Rœderer, Daunou, Merlin, Destutt de Tracy, Siméon, Bignon, Droz, Cabanis, et bien d’autres encore, car cette merveilleuse galerie de portraits s’enrichit sans cesse sous nos yeux, — M. Mignet n’a jamais négligé une occasion de peindre les destinées individuelles au milieu des catastrophes publiques. C’est même là, on peut le dire, toute sa philosophie de l’histoire. Bossuet a écrit magnifiquement : « il n’y a pas de puissance humaine qui ne serve malgré elle à d’autres desseins que les siens. Dieu seul sait tout réduire à sa volonté. C’est pourquoi tout est surprenant à ne considérer que les causes particulières, et néanmoins tout s’avance avec une suite réglée. » De même, à propos des courans qui à de certains jours emportent l’humanité, M. Mignet, reproduisant une pensée analogue, l’a exprimée en ces termes : « Les hommes font les choses profondes avec ignorance. Dieu, dont ils sont les instrumens, dépose moins souvent ses desseins dans leur esprit que dans leur situation. Il se sert de leurs passions pour les accomplir. » Ainsi chercher d’une part à expliquer les grands courans, c’est-à-dire à entrevoir les desseins de la Providence, d’autre part connaître et juger les hommes dans le rôle particulier que les circonstances leur assignent, telle est la double tâche de l’historien. M. Mignet, dans son Histoire de la révolution française, s’était efforcé de satisfaire à la première de ces conditions ; il a satisfait à