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du christianisme germanique, la diversité pourtant ayant besoin de l’unité, l’unité ne pouvant, sous peine de déchéance, se passer de la diversité, — que de phénomènes extraordinaires ! quelles questions de vie et de mort ! Toutes ces agitations, jusque-là inconnues, c’est le XVIe siècle qui les a introduites dans le monde. Aux prises avec de tels problèmes, la chrétienté se divise ; chacun, selon les circonstances de sa destinée, suit le mouvement ou résiste ; de là les déchiremens, les haines, les violences, les guerres d’extermination. À ces troubles de la foi, ajoutez les commotions politiques, la formation des grands états, les dernières puissances féodales essayant de lutter contre l’autorité croissante des monarchies, les intrigues de l’ambition mêlées aux passions du fanatisme, les crimes d’état déguisés en crimes de religion. Du midi au nord, de l’est à l’ouest, la crise formidable éclate sous les aspects les plus divers. Il faut la suivre en Italie, en Allemagne, en Suisse, en Angleterre, en Écosse, en Espagne et jusqu’au fond de la Turquie, sans oublier que tout ce qui se passe à Rome ou à Londres, à Francfort ou à Vienne, à Genève ou à Madrid, a son contre-coup dans notre France.

Les épisodes de ce drame du XVIe siècle, qui sont eux-mêmes de grands sujets d’histoire, veulent être interrogés l’un après l’autre avec une attention particulière. C’est ce qu’a entrepris M. Mignet. A mesure que des documens inédits lui en fournissaient l’occasion, il a retracé l’un de ces épisodes. Ainsi ont paru tour à tour le mémoire sur l’établissement de la réforme à Genève, l’histoire de Marie Stuart, le récit des aventures d’Antonio Perez et de Philippe II, le tableau des dernières années de Charles-Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste. Les deux volumes que M. Mignet vient de publier, et dont une grande partie avait d’abord paru ici même, composent un nouveau fragment de cette histoire du XVIe siècle. Est-il besoin d’ajouter que des fragmens comme ceux-là sont des œuvres qui se suffisent à elles-mêmes ? Que M. Mignet ait le temps d’élever ce monument ou qu’il laisse son œuvre inachevée, l’ouvrage intitulé Rivalité de François Ier et de Charles-Quint conservera toujours sa valeur propre, indépendamment de la place qu’il occupe dans le plan général de l’édifice.

Je voudrais même signaler en ces doctes pages un mérite dont je suis singulièrement frappé. La science de M. Mignet est si exacte, sa marche si assurée, son langage si ferme, sa conscience d’historien est si bien en garde contre les moindres surprises de l’imagination, qu’on est disposé à l’accuser de froideur. Assurément, c’est un dessinateur bien plus qu’un coloriste, et aujourd’hui que nous abusons de la couleur, il peut bien sembler que ce sévère pinceau