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du saint-siège, dont les papes étaient plus les souverains de droit que les possesseurs de fait et qui s’étendait du duché de Ferrare aux frontières napolitaines. Vers le milieu du XVe siècle ces cinq grands états italiens s’étaient unis par une sorte de confédération, et Guichardin a pu dire au début de son ouvrage : « L’Italie n’avait jamais joui d’une aussi grande prospérité, ne s’était jamais trouvée dans un état aussi désirable que celui où elle se reposait avec sécurité l’année du salut chrétien 1490. » Quelques années s’écoulent, et cette sécurité brillante fait place à des révolutions, à des rivalités tragiques, à des guerres d’invasion. Laurent le Magnifique, qui en 1492 lègue son autorité à son fils Pierre, ne lui lègue ni son habileté, ni sa sagesse ; la révolution est dans Florence. À Milan, Ludovic Sforza, oncle et tuteur du jeune Jean Galéas, veut déposséder son pupille, et, comme il redoute l’opposition de la maison de Naples, il va lui susciter de périlleuses affaires ; c’est la tragédie qui commence. Précisément les princes aragonais qui règnent à Naples ont excité les plus vifs mécontentemens, irrité la noblesse napolitaine et grossi le parti angevin, qui offre la couronne au jeune roi de France ; l’invasion est toute prête. Appelé par les Napolitains, poussé par Ludovic Sforza, Charles VIII n’a qu’à franchir les Alpes ; il sera un auxiliaire pour les uns, pour les autres un libérateur. Bien plus, aux yeux de Savonarole et de son parti il apparaîtra comme un réformateur de l’église envoyé par Dieu même.

Il y avait là de quoi tenter un chercheur d’aventures. À l’heure où l’Italie se divisait, l’unité territoriale de la France avançait de plus en plus. M. Mignet résume avec sa précision accoutumée ces progrès de l’unité nationale, « œuvre ancienne et persévérante de la grande famille qui régnait depuis plus de cinq siècles sans aucune interruption. » Les -dernières annexions, et ce n’étaient pas les moins considérables, avaient eu lieu sous les deux rois précédens, Charles VII et Louis XI. À ces agrandissemens du royaume correspondait une organisation plus forte. C’étaient d’une part des établissemens militaires permanens, de l’autre des ressources financières perpétuelles. On avait vu pour la première fois une noblesse belliqueuse encadrée dans des compagnies d’ordonnance soldées, hommes d’armes et archers à cheval, gardant la frontière en temps de paix et prêts à combattre en temps de guerre. Infanterie, cavalerie, artillerie, tout avait été puissamment constitué. La plus heureuse de ces innovations était la création de l’artillerie mobile. Les canons n’étaient plus attachés aux remparts des forteresses : montés sur des affûts, tramés par des chevaux, ils accompagnaient l’homme dans la plaine et jusque dans les défilés des montagnes.

Une fois Charles VIII devenu roi, qu’allait-il faire de cette épée de la France ? Pendant sa minorité, sa sœur, la dame de Beaujeu,