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du drap d’or ; quelques semaines plus tard, ce même roi d’Angleterre s’unit à Charles-Quint dans les conférences de Calais. A qui se fier ? comment voir clair au fond des âmes ? faut-il croire les promesses ou s’arrêter aux symptômes contraires ? Irrité de ces manques de foi, impatient de faire tomber les masques, François Ier se laisse entraîner par sa passion ; c’est lui qui rompt la paix, et qui sur trois points à la fois, par le Luxembourg, par la Navarre, par l’Italie, engage les hostilités. Il ne fait que précipiter l’alliance de l’empereur, du roi d’Angleterre et du pape, déjà préparée contre lui dans les conférences de Calais. Au mois de juin 1521, les troupes pontificales et impériales entrent en Lombardie, sous la conduite de l’illustre Italien Prospero Colonna, assisté de plusieurs capitaines de grand renom, italiens et espagnols, le marquis de Pescara, le marquis de Mantoue, Jean de Médicis, Antonio de Leyva. Lautrec, qui gouverne le Milanais et qui n’y a fait que des mécontens, se montre aussi timide général qu’il a été despote insupportable ; il manque plusieurs occasions de battre l’ennemi, et au mois de novembre, attaqué dans Milan, il est contraint d’évacuer la ville ; le Milanais est perdu.

Un des grands mérites de M. Mignet dans ces belles narrations, c’est l’art avec lequel il fait marcher de front tous les élémens de son étude. Il examine chaque chose de près et les voit toutes de haut. Cette vue synchronique, si je puis ainsi parler, lui permet de faire tout naturellement des rapprochemens inattendus. En voici un des plus curieux. Nous venons d’assister à la perte du Milanais si pauvrement défendu par Lautrec. Eh bien ! nous apprenons par la suite du récit que cet échec, vrai désastre pour François Ier, eût été bien plus désastreux encore, si un des trois alliés qui le menaçaient n’eût été, à ce moment-là même, subitement retiré de la scène du monde. Le pape Léon X était dans sa villa de la Malliana, à quelques lieues de Rome, quand il apprit l’entrée des troupes impériales et pontificales dans Milan. Sa joie fut extrême. Autour de lui éclataient des signes d’allégresse ; les Suisses de sa garde, oubliant qu’ils avaient des frères dans l’armée française, célébrèrent la défaite des Français par des décharges d’arquebuses assourdissantes. Exalté, enivré par ces joies du triomphe, le pape se promena dans sa chambre jusqu’à une heure avancée de la nuit. C’était une de ces belles nuits d’automne où le ciel italien est si brillant et la fraîcheur de l’atmosphère si perfide. Ses fenêtres étaient ouvertes. Tandis qu’il allait et venait, tout entier à ses rêves d’ambition, il respira les dangereuses émanations des heures noires. Le lendemain, déjà pris par la fièvre, il revint à Rome ; quinze jours après, le 1er décembre, à huit heures du soir, il expirait, sans avoir reçu les derniers sacremens. « Il n’avait, assure-t-on, auprès de lui que le moine mendiant Mariano, l’un des bouffons qu’il admettait à sa