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connaissance de ce défi, et par quel violent cartel il y répondit en présence de toute sa cour. Le cardinal de Granvelle, ambassadeur de Charles-Quint, avait essayé en vain de se retirer avant l’explosion ; il fut obligé d’entendre Robertet, l’un des secrétaires d’état, lire ces rudes paroles que le roi de France adressait à l’empereur : « Si vous nous avez voulu charger d’avoir fait chose qu’un gentilhomme aimant son honneur ne doit faire, nous disons que vous avez menti par la gorge, et autant de fois que le direz vous mentirez… » M. Mignet, qui emprunte ces dramatiques détails aux Papiers d’état du cardinal Granvelle, y met la marque de son esprit. Il est le vrai juge du camp. Qui a tort, qui a raison dans cet étrange débat ? Pourquoi cette provocation faite par Charles-Quint, acceptée si vivement par François Ier, n’a-t-elle pas abouti ? quel était l’intérêt de l’empereur ? quel était l’intérêt du roi de France ? Toutes ces questions sont résolues par M. Mignet comme par un arbitre impartial. Le récit est plein, rapide, et, sans que l’historien y fasse aucun effort, les émotions naissent d’elles-mêmes dans l’âme du lecteur. Une des plus vives à mon avis, c’est celle que procure la pensée toujours présente de ces malheureux enfans emprisonnés dans les sierras. Tandis que le héraut Guienne va porter à Charles-Quint le cartel de François Ier, tandis que le héraut Bourgogne apporte à François Ier le cartel de Charles-Quint, au milieu de ces violences et de ces menaces, à travers ces éclats de fureur qui trahissent d’implacables haines, on se demande avec angoisse ce que deviennent les enfans de France.

Dès leur entrée en Espagne, le dauphin et le duc d’Orléans avaient été enfermés dans le fort d’Ampuldia, puis dans celui de Villalpando. Une suite nombreuse les accompagnait ; soixante personnes environ étaient attachées à leur service. Après les provocations injurieuses de l’année 1528, tous les serviteurs des jeunes princes, y compris leur précepteur et leur médecin, furent dispersés dans plusieurs forteresses ; les enfans restèrent seuls. Bientôt même on les enferma dans un lieu plus sombre, plus inaccessible, à Pedrazza de la Sierra, au fond des montagnes de la Castille. Il n’y avait plus que des Espagnols autour d’eux, et non pas de tels hommes qui eussent convenu à si gentille compagnie, mais des soldats grossiers, race inculte et brutale. On rencontre ici de lamentables détails. Dans l’été de 1529, pendant les négociations qui devaient aboutir au traité de Cambrai, un huissier de la régente Louise de Savoie fut envoyé en Espagne pour visiter les jeunes princes de la part du roi leur père et de leur aïeule, et savoir comment ils étaient traités. Bordin, c’est le nom du messager, éprouva dès son arrivée un étrange serrement de cœur. Bien qu’il fût muni