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solidité ; son esprit n’était pas vif, mais il était net, judicieux, assuré, et la vigueur en lui remplaçait l’ardeur. Il portait dans l’examen comme dans la conduite de ses affaires une application soutenue et cette forte prudence qui n’empêche ni d’agir ni d’oser. Là où il intervenait avec lenteur, il persistait avec opiniâtreté, et son caractère, aussi tenace que son génie, finit par lui assujettir la fortune. »

Dans un autre ordre d’idées, le livre de M. Mignet provoque des méditations plus graves encore. J’ai dit en commençant que les deux grands objets de ses travaux historiques, pendant plus de cinquante ans avaient été le XVIe siècle et la révolution française. Eh bien ! alors même qu’il s’occupait du XVIe siècle, comme il vient de le faire avec un si grand soin du détail, soyez sûrs, que la préoccupation des problèmes relatifs à la révolution ne le quittait pas un instant. C’est du moins l’impression, que j’ai reçue en relisant ces pages, non plus détachées par épisodes, mais reliées dans un tableau d’ensemble. Je devinais ce que l’auteur ne dit pas. Je comprenais les allusions qui naissaient au fond de sa pensée et don un art sévère lui interdit l’expression. Après tant de malheurs qui ont accablé la France, en face d’un avenir si chargé de menaces, ne voit-on pas des esprits disposés à croire que nous assistons à la banqueroute générale de la société issue de 89 ? Ceux que tourmentent ces pensées de découragement, feront bien de lire des ouvrages comme celui de M. Mignet. Voilà une douzaine d’années de l’ancienne France racontées par l’historien le plus exact, appréciées par le juge le plus impartial ; qu’y voit-on ? Des folies, des trahisons, des catastrophes, un roi prisonnier, le royaume livré à tous les hasards, des invasions formidables, une grande province qui s’abandonne à l’ennemi, Paris menacé d’un siège, Marseille menacée d’être mise à sac, Rome prise, pillée, souillée, le pape insulté dans le Vatican et emprisonné dans le château Saint-Ange, des princes du sang de France, des enfans, traités pendant quatre ans comme des scélérats, bref les choses les mieux faites pour détruire la foi religieuse en même temps que la foi nationale. C’est la condition des choses humaines ; dans chaque temps et sous tous les régimes, l’histoire est une tragédie. Nous vivons cependant. Les désastres que la France a subis sous l’ancienne monarchie ne l’ont pas empêchée de se relever et de grandir ; la France de 89, plus forte parce qu’elle est plus juste, saura bien triompher de ses épreuves.


SAINT-RENE TAILLANDIER.