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au loin sur la mer, enfin quantité de grands travaux en bronze, car Virgile était artiste et savait fondre les métaux : un cheval colossal, un cavalier, un archer, une sangsue, une grosse mouche et une porte en fer. La tête du cheval existe encore, on peut la voir au musée de Naples ; le cavalier parcourait la nuit les rues de la ville et tuait les bandits et les voleurs. L’archer, debout à la place où l’on voit maintenant la statue de saint Janvier, sur le pont de la Madeleine, tournait son arc bandé contre le Vésuve pour tenir en respect la montagne de feu… Passa un jour un paysan calabrais qui s’arrêta devant l’archer et lui dit : « Tire donc et lâche ta flèche. » La flèche partit et alla piquer le cône de cendre, où elle ouvrit un cratère ; le sol trembla aussitôt, la lave jaillit, Naples fut sur le point de crouler et de brûler comme Herculanum. Sans l’intervention de saint Janvier, la grande ville serait maintenant enfouie sous la cendre. C’est depuis lors que le saint a remplacé l’archer sur le pont de la Madeleine : il tient le bras tendu vers le Vésuve, et Naples est maintenant à l’abri des tremblemens de terre et des éruptions. Quant à la sangsue et à la mouche de bronze, elles servaient à détruire les mouches et les sangsues véritables ; les vers et les serpens étaient relégués derrière la porte de fer. Virgile enchanta aussi sa propre image, qu’il enferma dans la fiole où se liquéfie maintenant, une fois par an, le sang de saint Janvier. Quand l’enchanteur fut mort, il se fit hacher menu et cuire pendant neuf jours à petit feu dans une chaudière fermée ; par malheur, son esprit, qui surveillait l’opération, s’absenta un instant ; survint Auguste, qui ne savait rien et qui cassa la chaudière. Un fœtus en sortit, cria trois fois ; Malheur ! et disparut.

Voilà ce que racontent les cicérones du Pausilippe en vous montrant le colombaire romain où M. Eichoff a fait inscrire l’épitaphe du poète :

Mantua me genuit, Calabri rapuere, tenet nunc
Parthenope ; cecini pascua, rura, duces.


Mais les cicérones affirment que jamais Virgile ne fut enterré là. Son esprit a été enfermé dans un rocher, d’où un enchanteur anglais du temps de Roger de Sicile l’aurait fait sortir, si le peuple ne s’était pas soulevé pour empêcher le sacrilège. Quant aux ossemens de Virgile, on les a longtemps gardés au Fort-de-l’Œuf, derrière une forte grille en fer. Si un profane avait osé les tirer de là, une tempête aurait détruit la ville.

Tel est le Virgile napolitain ; le peuple de Sicile ajoute quelques traits à cette histoire. Une fille de Borgetto a raconté à M. Salomone-Marino que le grand magicien, avant d’acquérir toute sa puissance, avait pris pour femme une personne aussi méchante que