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sépulture et qu’on regarde les ossemens, le ciel s’assombrit, le tonnerre gronde, les foudres tombent par milliers ; on dirait le déluge universel. Pour la mer, qui dira ce qu’elle fait ? Tempêtes, montagnes de vagues, batterie d’enfer : elle engloutit les barques et les vaisseaux comme des pilules. Il n’y a pas de courage qui tienne : plus on est hardi, plus l’on va au fond. Dieu nous fasse la grâce, Seigneur, que jamais n’aillent s’y risquer les fils de nos mères ! Et que celui qui a dit cette histoire et celui qui la lui a fait dire ne puissent jamais mourir de male mort !

Il serait facile de multiplier ces exemples et de montrer ainsi les étranges transformations qu’ont subies les fables Palermes en devenant des contes siciliens. Tel de ces contes nous montre un prince quelconque doué d’une force extraordinaire qu’il devait à un cheveu d’or ; ce prince n’est autre que Nisus, roi de Mégare, qui, blanchi par l’âge, avait conservé un cheveu de pourpre auquel était attachée la conservation de son royaume, et ce Nisus lui-même rappelle d’autres héros fabuleux, sans compter le héros biblique, Samson. Jupiter, Bacchus, Hercule, reparaissent, réduits à la taille de simples mortels, dans les récits de la Messia et de ses compagnes, mais ces dieux et ces demi-dieux n’étaient eux-mêmes que des transformations de mythes plus anciens : en remontant à la source de quantité de traditions, on fait, de force ou de gré, le voyage des Indes. Tout y mène, même Giufà, le Jocrisse sicilien. Les bonnes femmes racontent que Giufà, molesté par les mouches, alla porter plainte contre elles au juge de son pays. Le juge, ne sachant que faire, lui permit, lui ordonna même de tuer tous les insectes qu’il trouverait sous sa main. Guifà suivit la prescription à l’instant même : une mouche étant allée se poser sur le front du juge, il la tua d’un coup de poing qui cassa en même temps la tête du conseiller malavisé. Nous connaissons tous cette fable, que nous avons lue dans La Fontaine ; avant notre fabuliste, Straparole avait raconté, dans ses Nuits facétieuses, comment un butor, nommé Fortunio, se trouvant au service d’un droguiste de Ferrare et chargé de protéger, pendant la sieste, le front chauve de son maître, l’avait fendu d’un coup de pilon pour en chasser une mouche qui s’y était plantée impertinemment. Longtemps avant Straparole, l’auteur indien du Pantchatantra, cinq livres de contes et d’apologues qui sont maintenant traduits du sanscrit dans toutes les langues, connaissait déjà l’aventure qui était arrivée, non point à un juge ni à un droguiste, mais à un très puissant roi. Ce souverain se faisait garder la nuit par un singe qui, pour lui épargner la piqûre d’une abeille, prit un grand sabre et coupa d’un coup l’insecte et la tête de son maître endormi.

Il est certain qu’Hérodote popularisa en Grèce beaucoup de