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une trinité chrétienne qui n’ait rien d’inacceptable pour la raison ; mais sa trinité ressort toujours de l’élaboration à l’état de trilogie philosophique, mentale, impersonnelle, la vraie trinité des conciles ne s’y reconnaîtrait jamais. Le péché originel perd dans sa pensée le caractère de fait arrivé en un certain moment, en un certain lieu, dans la vie du premier couple humain. Ce n’est plus une chute, un fall accompli une fois pour toutes, c’est un falling, une chute permanente, se confondant avec notre inclination au mal moral. Nous surprenons dans une de ces lettres cette phrase caractéristique et bien anglaise : « la notion de petits enfans condamnés au feu éternel parce qu’Eve un jour eut le tort de manger une pomme a toujours fait sur mon faible esprit l’effet d’une doctrine peu confortable. » Par conséquent la rédemption perdra à ses yeux sa qualité d’acte absolument sui generis, transcendant, s’accomplissant entre ciel et terre à une certaine heure : ce n’est plus la rançon de l’humanité offerte au Dieu vengeur par la seule victime dont les douleurs puissent satisfaire sa justice irritée ; elle est le point culminant du martyre en général. Jésus, en mourant victime de sa sublime mission, a dû payer de ses souffrances le bien qu’il nous voulait faire, et tous les grands dévoûmens de l’histoire ne forment plus qu’un tout avec le sacrifice de la croix. Nous avons vu combien Rowland Williams était devenu circonspect au chapitre des miracles. Au fond, il est visible qu’il n’eût pas mis la main au feu pour en garantir la réalité. La seule valeur actuelle de ces légendes consistait, selon lui, dans le sens moral qui leur est inhérent. On va loin avec une pareille théorie. Il faut toutefois ajouter que c’est avec une extrême prudence, sous un voile manquant souvent de transparence, que le prédicateur de Cambridge énonçait ses vues révolutionnaires. Il était lui-même inquiet des hardiesses de sa pensée, et l’on peut être assuré qu’il serrait toujours la doctrine traditionnelle d’aussi près que la sincérité le lui permettait. Malgré tout, les pointes aiguës de son rationalisme perçaient à travers le velours de ses formes oratoires. L’orthodoxie de la haute et de la basse église, qui a pour dépister l’hérésie un flair d’une incomparable finesse, ne manquait pas de les mettre à nu sans miséricorde.

Ce fut bien pis quand au mois de février 1860 parut le fameux volume des Essays and Reviews d’Oxford, qui fit trépider toutes les vénérables théologies des trois royaumes, et quand on sut que l’auteur d’un des essais les plus objectionable n’était autre que l’ex-vice-principal de Lampeter, devenu depuis peu l’incumbent ou pasteur titulaire de Broadchalke, paroisse rurale de 1,600 âmes, située à cinq ou six lieues de Salisbury. Par sa participation à ce recueil, qui fait époque dans les annales religieuses d’Angleterre, Rowland Williams nous ramène à l’histoire générale de la broad ckurch.