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d’essais ne fit pas grande sensation. Il y aurait quelques motifs de croire qu’il s’organisa contre lui une espèce de conspiration du silence. On ne tarda pas à découvrir que pourtant il se vendait beaucoup. Les laïques le lisaient avidement, et à la longue les théologiens ne purent plus se taire. En mai 1860, près de trois mois après la publication, il fut dénoncé dans la grande réunion annuelle de la Société biblique par un pasteur de Birmingham. Quelques jours après, le Record, organe très répandu de la basse église, sonna le tocsin. « Nous affirmons sans craindre qu’on nous contredise, disait l’auteur de l’article, que la tendance directe et fatale de ce livre est de détruire toute espèce de foi religieuse et, par l’abolition de l’autorité des saintes Écritures, de nous enlever la boussole qui nous guide vers l’éternité. » Le Christian Observer, recueil mensuel du même parti, s’attaquait à chacun des essayistes individuellement. Le respect de M. Temple pour la Bible n’était qu’un baiser de Judas, l’incrédulité de Rowland Williams était pire que celle de Voltaire ou de Payne, Baden Powell était un athée, Wilson un arien hypocrite, le reste à l’avenant. On sommait l’autorité ecclésiastique de prendre des mesures pour laver l’église d’une pareille souillure, il y allait de son existence. De son côté, le Guardian, journal de la haute église, se prononçait aussi contre les essais, mais d’un ton plus modéré, et distinguait fortement entre les auteurs. Sans qu’on puisse clairement deviner pourquoi, c’est sur MM. Rowland Williams, Wilson et Baden Powell que la vénérable feuille faisait retomber toute sa colère. M. Powell, disait-elle, est un déiste, M. Wilson un sophiste, mais le pire de tous est l’essayiste Williams. A l’autre extrémité de la presse périodique anglaise, la Revue de Westminster, ordinairement rédigée au point de vue d’un libéralisme très avancé, tout en donnant raison aux auteurs des Essais dans tout ce qu’ils affirmaient ou niaient au nom de la science et de la raison, aggravait leur position devant le grand public en rattachant, non sans exagération, les conséquences les plus radicales aux thèses qu’ils avaient développées avec tant de ménagemens et dans un esprit au fond très conservateur. Chose pour eux plus désagréable encore, elle exprimait son étonnement de voir que les représentans officiels de l’église restassent comme paralysés devant une pareille publication due à des clergymen. Le fait est que les universités se taisaient, que les évêques eux-mêmes restaient muets, sauf pourtant celui de Winchester, qui dirigea une charge ou mandement contre les Essais.

Toutes ces attaques n’avaient jusqu’alors abouti qu’à augmenter indéfiniment le nombre des lecteurs de l’ouvrage. Les exemplaires s’écoulaient avec une rapidité prodigieuse. M. Parker, le premier éditeur, circonvenu, effrayé, avait déclaré qu’il ne voulait plus le