Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

récitent des passages de leurs anciens chants consacrés à la louange du Seigneur. Ces admirables tableaux, esquissés ici à grands traits, seront dans la suite souvent reproduits et développés. L’épopée chrétienne en a vécu. Le triomphe du Christ sur la mort, l’union de l’ancienne et de la nouvelle loi figurée par l’introduction des vieux prophètes dans le paradis, les résistances vaines de Satan, ses emportemens, ses discussions avec les autres mauvais anges, ses combats et sa défaite sont restés l’inspiration ordinaire des poètes épiques chrétiens depuis saint Avit et Dracontius, jusqu’à Dante et à Milton.


II

Il n’est pas besoin d’insister sur les services de tout genre que les évangiles apocryphes ont rendus aux poètes chrétiens, ils sont trop manifestes pour être contestés ; mais d’autres ouvrages du même temps, quoiqu’en apparence moins liés à l’histoire de la poésie qu’à celle du dogme, n’ont pas été sans influence sur elle. Quelques-uns d’entre eux ont la forme d’un roman, ce qui semble indiquer qu’ils sont nés plus près de l’Occident et dans une société un peu plus relevée que les évangiles. Le monde grec et romain avait alors la manie des récits d’aventures ; jamais peut-être ils ne furent plus populaires et plus goûtés que dans le Ier siècle de l’empire. On ne s’en servait pas seulement pour décrire le jeu des passions et amuser un moment les oisifs, mais pour exposer aux gens du monde les sciences le§ plus sérieuses. La philosophie, l’histoire, la religion, eurent souvent recours à ce moyen aisé de répandre leurs enseignemens. Le christianisme suivit cet exemple, et il nous reste de lui deux ouvrages curieux où sont développées, sous une forme romanesque, des doctrines théologiques ou des leçons de morale ; on les appelle les Clémentines et le Pasteur d’Hermas[1].

Les Clémentines faisaient partie de toute une littérature apocryphe qui s’était formée autour du nom de saint Clément, l’un des premiers successeurs de saint Pierre. Nous en avons deux rédactions, l’une en latin et l’autre en grec, qui ne portent pas le même titre et diffèrent dans les détails, mais dont le fond est assez semblable. La partie romanesque de l’ouvrage, qui peut en être aisément détachée, paraît empruntée aux traditions du théâtre antique. On sait, d’après le témoignage d’Aristote et l’exemple des auteurs latins, que presque toutes les comédies se dénouaient alors par des

  1. Je renvoie ceux qui souhaiteraient avoir plus de renseignemens sur ces deux ouvrages à une étude fort intéressante de Rigault, insérée dans le second volume de se œuvres : ils y sont surtout étudiés au point de vue littéraire.