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Comment douter qu’avec l’intelligence qui leur est propre, l’esprit ouvert au progrès, ils ne se hâtent de se confondre avec la nation qui tient le flambeau de la civilisation, et dont le premier soin a été de les affranchir du joug sous lequel ils gémissaient ? » Les faits ont-ils répondu à ces généreuses espérances ? En 1870, le nombre des individus naturalisés en vertu du sénatus-consulte était de 1039, qu’on répartissait ainsi : 634 étrangers, 405 indigènes. Dans ce dernier chiffre, les musulmans comptaient pour 116, les israélites pour 289 ; mais la désignation d’indigène s’appliquait improprement à plus d’un tiers d’entre eux qui, étant originaires du Maroc et de la Tunisie, eussent avec plus d’exactitude figuré au tableau des étrangers. Ces Africains musulmans et juifs, principalement juifs, s’étaient fait naturaliser moins pour devenir citoyens français que pour exploiter cette qualité. Grâce à ce titre, qui inspirait de la confiance, ils obtenaient à crédit dans les tribus et auprès de nos propres fournisseurs des livraisons importantes de marchandises qu’ils expédiaient aussitôt dans leur pays d’origine, ils disparaissaient ensuite sans retour à la veille de l’échéance, ne laissant à leurs victimes qu’un recours presque toujours illusoire. Les autorités tunisiennes et marocaines, qui peuvent, sur des plaintes venues du dehors, réprimer les fraudes de leurs nationaux, étaient désarmées devant des citoyens français : ceux-ci se fussent réclamés de nos agens consulaires, qui eussent été obligés de les couvrir. Éprouvaient-ils du reste quelque inquiétude d’un séjour trop prolongé dans ces états, ils passaient à Gibraltar ou à Malte, où ils se sentaient en sécurité à l’abri des lois anglaises, si respectueuses de la liberté individuelle. Il eût fallu recourir contre eux à l’extradition, qui ne s’accorde qu’au moyen d’une procédure internationale préalable, qui met la diplomatie en mouvement, et dont les règles multiples et compliquées interdisent l’emploi dans tous les cas où il n’y a pas un intérêt de premier ordre à en user. Ces fraudes restaient impunies, car les condamnations par défaut ou par contumace ne pouvaient jamais s’exécuter. De tels scandales, dont témoigneraient particulièrement les personnes qui ont pratiqué la justice criminelle en Algérie, eussent bientôt avili notre naturalisation. Hâtons-nous de rendre à l’administration supérieure algérienne cette justice, qu’elle n’attendit pas, pour découvrir ces supercheries et y mettre un terme, que l’opinion publique les lui dénonçât.

Tandis que notre naturalisation obtenait auprès des Juifs de l’extérieur une vogue si compromettante, la communauté israélite indigène présentait un spectacle qui contrastait avec cet empressement de mauvais aloi. Il s’était produit ce phénomène singulier et en apparence contradictoire, que cette population, qui avant le