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israélites. Le contrat de prêt d’argent ne tient pas de sa nature au statut personnel ; mais, la loi de Moïse étant avant tout religieuse, le prêt pécuniaire, qu’elle a réglé, peut de ce chef rentrer sous ce statut. C’est ce que pensa le tribunal, et il demanda l’avis des rabbins sur l’objection du défendeur. Ceux-ci affirmèrent l’existence et la permanence du texte invoqué ; ils citèrent à l’appui des sentences conformes de sanhédrins et des exemples historiques. Le créancier fut en conséquence condamné à perdre les intérêts du capital prêté, décision qui causa un grand émoi dans la communauté juive, dont ces traditions désintéressées ne gouvernent plus les coutumes.

Avec leur esprit si éminemment pratique, les israélites avaient vite saisi les raisons de la préférence attachée en affaires aux écrits sur le témoignage oral. Avant le sénatus-consulte, ils n’avaient jamais songé à se prévaloir de ce que la preuve testimoniale est toujours admissible dans leurs traditions juridiques pour l’invoquer contre les énonciations de pièces authentiques ; ils l’essayèrent après 1865. La jurisprudence refusa de sanctionner ces prétentions subversives d’un principe qui est fondamental dans notre droit, et marque même une des différences capitales du droit moderne et de celui des temps anciens.

Avant 1865, il était à peu près uniformément admis par les tribunaux d’Algérie que le mariage contracté par des israélites indigènes devant l’officier de l’état civil français demeurait, quant à ses effets, soumis aux règles de notre code. La cour d’Alger résistait isolément à l’adoption de ce système, qui lui semblait empiéter sur le domaine législatif ; mais la cour de cassation[1] l’avait sanctionné, et ses décisions eussent établi un accord final entre les juridictions de première instance et d’appel. La masse des israélites s’habituait d’ailleurs à considérer l’union conjugale célébrée dans ces conditions comme indissoluble, exclusive de la polygamie et comportant toutes les conséquences du mariage français ; mais en présence des dispositions du sénatus-consulte il parut abusif à certains tribunaux que l’assimilation légale pût, comme par le passé, résulter pour les israélites de mariages contractés suivant les formes de notre code, et, revenant sur leur jurisprudence, ils décidèrent que dans un tel mariage la loi mosaïque devait seule régler les rapports respectifs des époux. Dans cette situation, des maires d’Algérie refusèrent de célébrer des unions pareilles ; il fallut des jugemens et l’intervention du parquet pour les y contraindre.

Une autre question s’était présentée de tout temps devant la justice, et avait été l’objet des solutions les plus diverses.

  1. 15 avril 1862, affaire Courcheya.