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dans les cafés maures. — Ils allaient faire partie des jurys criminels et à ce titre avoir pour justiciables les musulmans et les chrétiens. — Se sentait-on humilié de les voir siéger en justice ou bien suspectait-on leur impartialité ? Dans le premier cas, il n’y avait pas évidemment à tenir compte de susceptibilités peu respectables ; dans le second, n’était-on pas rassuré en présence du petit nombre d’israélites capables d’exercer les fonctions de juré ? La faculté de récusation ne diminuait-elle pas encore le danger ? Ces injurieuses défiances étaient-elles d’ailleurs justifiées ? Comment les musulmans traduits en cour d’assises auraient-ils redouté l’hostilité systématique des jurés israélites, lorsque certains magistrats du parquet estimaient au contraire que l’introduction de cet élément dans les tribunaux criminels affaiblirait la répression à l’égard des musulmans, pour lesquels, dans l’intérêt de leur commerce avec les douars et par la crainte des vengeances, les Juifs seraient inévitablement plus portés à la mansuétude que les chrétiens ? — La naturalisation des israélites éveillait encore, ajoutait-on, dans l’esprit des musulmans l’appréhension d’une mesure analogue à leur égard dans un temps prochain. — Mais les musulmans s’étaient-ils jamais mis dans le cas d’en fournir le prétexte en réclamant leur assimilation ? La volonté contraire du législateur de respecter leur statut ne résultait-elle point d’un autre décret du 24 octobre, et de ceux des 10, 31 décembre 1870 et 16 janvier 1871 réglant la nouvelle organisation administrative de l’Algérie ? Se serait-il donné tant de mal pour édifier un ordre de choses que son intention eût été de supprimer ensuite à bref délai ?

Non, jamais la naturalisation des israélites n’a inspiré de semblables inquiétudes dans cette population, où le nombre raisonne en définitive avec intelligence sa situation et comprend à merveille que, si nous avons pu sans danger faire présent de notre droit de cité aux Juifs, qui, différant seulement de nous par leur statut relatif au mariage et aux droits de famille, soumis à nos lois pour tout le reste, partageant nos idées sur la propriété, adoptant en grande partie nos habitudes, notre langage et jusqu’à notre mise[1], étaient déjà légalement et de fait à moitié assimilés, nous ne livrerons pas, par la naturalisation collective des musulmans, l’influence politique en Algérie à une majorité hostile. C’est seulement dans nos rangs que quelques exaltés protestèrent contre une assimilation que, dans leur bonne opinion d’eux-mêmes, ils regardaient comme injurieuse. Quant aux tribus, elles ne se plaignirent nulle part. Plusieurs mois après, il est vrai, le 1er mars 1871, des portefaix biskris maltraitèrent quelques Juifs d’Alger et

  1. La majorité de la jeunesse israélite parle et écrit le français, et abandonne, pour s’habiller comme nous, son costume traditionnel.