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bienveillance excessive, rendu les indigènes musulmans admissibles, en leur seule qualité de Français, à de nombreux emplois publics dont l’obtention dépend quelquefois pour nous-mêmes de la possession du titre de citoyen. Les auteurs du sénatus-consulte ne pouvaient se dissimuler que notre naturalisation ne répondait à aucune aspiration spontanée, à aucun besoin général de la société musulmane, qui lui opposerait au contraire des obstacles divers et multiples provenant de l’antipathie de racés, des dissidences religieuses, etc. Puisque ces populations ne subissaient pas volontiers notre attraction, au lieu de se contenter d’un appel platonique à des sentimens rebelles, il fallait leur parler le langage universel et souverain de l’intérêt. Avec ce que l’on connaissait par exemple du goût des indigènes pour les emplois publics et tout ce qui participe du prestige de l’autorité, il convenait peut-être d’exiger d’eux la naturalisation comme condition obligatoire de leur aptitude à occuper des places de ce genre. Plus le sénatus-consulte eût été conçu dans des vues étroitement utilitaires, plus le succès auprès de l’indigénat eût été possible et probable.

C’est ce qui n’a pas échappé au législateur de 1870, et le décret du 24 octobre sur la naturalisation conditionnelle des musulmans et des étrangers montre (article 2) qu’il se préoccupait de remédier à cet inconvénient en restreignant des privilèges si abusifs ; mais, détourné de ce soin par d’autres soucis plus graves, il n’a pas donné de suite à son projet. La législation antérieure demeure en vigueur, et l’indigène non naturalisé peut, s’il justifie des conditions d’âge et d’aptitude déterminées par les règlemens français spéciaux à chaque service, exercer les fonctions de chef de bureau de préfecture, commis de tout grade dans les administrations financières, conducteur des ponts et chaussées, capitaine des douanes, notaire, défenseur, greffier, huissier, commissaire-priseur, garde champêtre, garde forestier et des eaux, directeur de station télégraphique, etc., c’est-à-dire intervenir dans l’administration des Français, dresser des actes authentiques et des procès-verbaux, dont quelques-uns font foi en justice. Aucun d’eux à la vérité n’a encore obtenu d’office ministériel et ne s’est élevé dans les administrations publiques au-dessus d’un grade subalterne ; mais ces inspirations d’une générosité exagérée n’en nuisent pas moins à notre naturalisation, dont elles amoindrissent la valeur aux yeux des indigènes. Ce n’est encore là toutefois qu’une simple critique de détail, destinée à montrer combien le sénatus-consulte va parfois contre son but. Il importe maintenant de le considérer au point de vue de l’intérêt collectif. A quel intérêt social répond ici la naturalisation ? quelles en sont pour les indigènes musulmans les conséquences au point