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revenir à 24,000 francs environ le prix de chaque consultation, les députés de l’Algérie ont, dans la séance parlementaire du 19 juillet courant, réclamé la suppression d’un service aussi onéreux qu’inutile. La réponse du garde des sceaux permet d’espérer dans un temps prochain cette réforme, qui nous rendra la souveraineté judiciaire, dont l’exercice est un des principaux attributs de toute conquête. La substitution totale de notre juridiction aux tribunaux musulmans ne saurait non plus tarder à devenir un fait accompli. La loi du 26 juillet 1873 ne laisse plus subsister dans son intégrité le statut musulman réservé par l’article 2 du sénatus-consulte : elle le réduit à des facultés purement personnelles. Les conséquences de cette loi sont encore incompatibles avec le maintien de certaines dispositions de ce statut ainsi restreint, notamment en ce qui concerne la possession d’état et les preuves admises pour l’établir. Comment par exemple concilier les effets de l’article 815 de notre code civil avec des traditions en vertu desquelles les cadis attribuent sans hésiter la paternité d’un enfant à un individu décédé depuis des années ? C’est donc le moment de conférer à la justice française une possession exclusive. L’unité de juridiction doit amener l’unité de législation. Celle-ci réalisée, l’islamisme ne serait plus qu’une forme religieuse particulière, le Coran que l’expression d’un dogme métaphysique et un formulaire canonique, l’évangile et le bréviaire des musulmans, non une charte politique et sociale. Alors la société musulmane, déjà disposée à l’assimilation par l’extension progressive de l’administration française à ses divers groupes, solliciterait peut-être par un vœu général les bienfaits de notre droit commun. L’initiative de cette évolution partira sans doute des Kabyles, qui sont plus rapprochés de nous par les institutions et les mœurs, et que guide un sens pratique, lent[1], mais ferme et sûr. Une partie de la population arabe, la majorité, nous l’espérons, s’y associera ensuite. Le reste, incapable de subsister désormais sur un sol dont les conditions économiques auront changé avec les dispositions de ses habitans, le laissera à des occupans plus dignes, et ira continuer dans les espaces illimités du sud les traditions de cette vie patriarcale, si séduisante vue à travers le prisme enchanteur de la poésie biblique, si incomplète en réalité, et que la civilisation ne tolère pas sur son domaine.

  1. Les Arabes reprochent aux Kabyles d’avoir un caillou dans le cerveau ; ceux-ci leur répondent : « Vous y avez un tambour de basque. »