Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/948

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui semblent empruntés à son divin prototype. Comme lui, il apparaît doué d’une énergie précoce. Il a son activité sans trêve, il a même quelques-uns des défauts qu’Euripide a livrés en risée aux Athéniens. Dans une des chansons, on lui prête une gloutonnerie tout herculéenne ; à cinq jours, il engloutit une fournée de pains. Il est, comme Héraklès, de caractère fantasque et redoutable ; il fait peur à ses amis comme à ses ennemis ; dans le poème, il assomme d’un coup de poing un de ses cuisiniers. Akritas, comme l’amant d’Omphale, est faible aux attraits féminins. Dans rémunération de ses exploits, on retrouve presque la série des « douze travaux. » Il guerroie, lui aussi, contre des Amazones, et use avec elles des droits de la guerre. Il combat sans relâche les monstres et les brigands, il est obligé de disputer sa maîtresse aux apélates, sorte de centaures qui chevauchent sans cesse par les montagnes, et qui semblent possédés comme ceux de la fable d’instincts lubriques et violens. Enfin, dernier trait d’analogie, Akritas lutte corps à corps avec Charon, comme Hercule avec la Mort dans la tragédie d’Alceste.

Après le cycle héracléen, c’est avec les épopées orientales, les traditions des peuples, que le gardien des frontières eut mission de combattre à cette époque, que les légendes sur Akritas offrent le plus de rapports. Celles de la Perse furent seulement coordonnées par Firdousi dans le Shah Namèh ; elles devaient cependant, sous forme de cantilènes isolées, courir l’Asie antérieure. Avec les Sarrasins, conquérans de l’Euphrate, les légendes du désert, celles qui avaient inspiré les grands poètes arabes du VIe et du VIIe siècle, firent leur apparition sur la terre hellénique. Il est à remarquer que les héros-de plusieurs épopées orientales sont nés comme Akritas de deux races différentes. Sorhab, le guerrier au corps de fer, est fils de Rustem l’Iranien et d’une princesse touranienne ; Antar est fils du guerrier arabe Schédad et d’une captive noire Zébiba. Akritas, pour son début, ne se contente pas de tuer les bêtes sauvages, il les déchire de ses mains nues. De même le premier exploit d’Antar est de disloquer un chien formidable. Samson, adolescent, prend un lion par les deux mâchoires et le déchire, « ainsi qu’il aurait fait d’un chevreau. » Les chansons grecques insistent sur la légende d’Akritas enchaîné, garrotté, et qui d’un seul effort recouvre sa liberté. C’est une donnée presque uniquement orientale : Samson, lié de cordes neuves, n’a qu’à étendre les bras, et les Philistins ont déjà mordu la poussière. Antar livre son premier combat, les jambes enchaînées par l’ordre du roi Moundhir. Il est probable que les traits de délicatesse chevaleresque, de respect pour les femmes, qu’on trouve semés dans le poème d’Akritas, parmi les traits de cruauté et de débauche, sont dus à l’influence des Arabes. Antar peut être opposé à tous les preux d’Orient et d’Occident, comme un modèle