Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/956

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même renverser, voter les lois constitutionnelles en laissant croire qu’on a une autre république, la « vraie » république en réserve pour l’occasion, c’est là ce que nous appelons la part de la gauche dans cette équivoque universelle que les derniers débats parlementaires n’ont nullement dissipée et dont le pays est certainement fondé à se défier.

L’équivoque, elle est un peu l’œuvre de tout le monde, il faut en convenir ; tout le monde en est plus ou moins coupable et plus ou moins victime, le gouvernement y a sa part comme la gauche, et sans le vouloir, en multipliant au contraire les efforts pour la dissiper par des explications en apparence décisives, M. le vice-président du conseil a certainement contribué plus que tout autre à la maintenir. Accuser M. Buffet de connivence avec le bonapartisme comme on l’a fait dans les dernières discussions, c’est un jugement des plus légers ; le traiter en ennemi de la république parce qu’il a refusé de se laisser entraîner à des déclarations véhémentes contre l’empire ou en faveur du régime républicain, ce serait tout aussi peu juste. Ce qui est vrai, c’est que depuis longtemps, depuis le 20 novembre 1873. M. Buffet a considéré ce qu’on appelait alors le septennat comme une création en l’air qui avait besoin d’être organisée, complétée et fortifiée par des institutions sérieuses. Puisque toutes les entreprises de restauration monarchique avaient fastueusement échoué, il ne restait que la république, et, comme président de l’assemblée, M. Buffet a eu sûrement dans le vote de la constitution du 25 février une action décisive qui l’a désigné au pouvoir ; mais c’est ici que tout se complique.

Non, M. Buffet n’est ni un bonapartiste plus ou moins déguisé, ni un ministre infidèle de la république, il a seulement en antipathie ce qu’on peut appeler la politique de la gauche, les idées, les opinions, les traditions de la gauche. C’est un conservateur prétendant gouverner en conservateur, avec les plus énergiques garanties conservatrices, ce régime nouveau qu’il représente comme le principal personnage de l’état après M. le maréchal de Mac-Mahon. En un mot, après avoir reçu la république votée par la gauche, M. le vice-président du conseil se flatte de gouverner avec une majorité ennemie de la république. Là est précisément l’équivoque dans laquelle M. le ministre de l’intérieur se débat, et où il n’a porté vraiment jusqu’ici aucune clarté par ses explications pas plus que par ses actes de gouvernement. Il ne suffit pas de dire aux hommes les plus modérés de la gauche : « Je n’étais pas avec vous avant de monter au pouvoir, je ne serai pas avec vous quand je l’aurai quitté. » Les hommes à qui on tient ce langage sont après tout ceux qui soutiennent le gouvernement, qui ont préparé, voté les lois constitutionnelles, et, pour dédaigner cet appui, sur qui compte donc le chef du cabinet ? Quels sont ces alliés préférés avec lesquels il espère faire campagne ? M. le vice-président du conseil ne peut s’y méprendre,