Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plein pays arabe, un grand village était sorti de terre avec ses maisons, ses rues, ses allées d’arbres, ses jardins et jusqu’à ses troupeaux. Il n’y manquait plus que les habitans. Dès l’origine, la société avait reçu tant des départemens frontières que de l’Algérie un nombre considérable de demandes d’admission dans ses villages ; soit par elle-même, soit par l’intermédiaire des comités de Nancy, de Lunéville et de Belfort, elle examina scrupuleusement ces demandes. Inutile de dire que la première condition exigée était un certificat d’option en faveur de la France ; quant aux ressources personnelles dont pouvaient disposer les impétrans, peu importait en somme : ils n’avaient pour réussir qu’à profiter des moyens que la générosité de la société allait leur mettre dans les mains ; ce qu’il fallait avant tout, c’étaient des familles de cultivateurs, habitués au travail des champs et présentant des garanties sérieuses d’ordre et de moralité ; ainsi disparaissait une des principales causes qui jusqu’à ce jour ont fait l’insuccès de la colonisation en Algérie. Peut-être était-il bon d’envoyer aussi quelques artisans ; on eut donc soin de prendre à choix égal telle famille de cultivateurs où l’un des membres était capable d’exercer une profession utile à tous les villages, celle de boulanger par exemple, de forgeron ou de cordonnier. M. d’Haussonville avait eu également l’intention d’admettre parmi les colons un certain nombre de militaires alsaciens-lorrains libérés du service, et il s’était adressé dans cette intention aux généraux commandant les trois divisions de l’Algérie pour obtenir avec leur concours les renseignemens nécessaires. Les anciens soldats qui accepteraient le patronage de la société devaient prendre l’engagement de se marier au plus tôt ou d’amener leur famille sur leur concession. Il faut l’avouer, cette épreuve n’a pas complètement réussi ; bien qu’ils eussent été choisis de près et principalement dans les corps du génie et du train militaire, comme ayant gardé davantage des habitudes de travail et d’activité, la plupart de ces hommes n’ont pas su répondre à l’intérêt qu’on leur témoignait ; quelques-uns même, pour cause d’inconduite ou d’insubordination, ont dû être expulsés, et il ne semble pas que jusqu’à nouvel ordre, en dépit de ce qu’avait pensé le maréchal Bugeaud avec ses colonies de vétérans, l’élément militaire puisse fournir un appoint bien sérieux à la colonisation. Peut-être la durée du service de plus en plus restreinte, en retenant le soldat moins longtemps éloigné de la vie de famille et des habitudes régulières, permettra-t-elle de revenir sur ce qu’un tel jugement offre de pénible et d’inquiétant.

Le choix des familles une fois arrêté, celles qui avaient été désignées furent, avec l’assistance des comités de Nancy et de Belfort, dirigées sur Marseille par groupes de douze ou quinze ; le comité