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époque principale de la vie, étaient une véritable écriture. On lisait sur la peau du sauvage sa biographie, ses exploits, parfois même les obligations qu’il avait contractées. Aussi un savant allemand, M. H. Wuttke, à qui on doit une intéressante Histoire de l’écriture, a-t-il consacré tout un chapitre au tatouage. N’avons-nous pas pendant bien longtemps écrit en quelques lettres avec le fer chaud sur l’épaule du criminel l’histoire abrégée de son crime ?

Les populations les moins avancées entre celles qui usèrent de l’écriture figurative n’ont pas dépassé le procédé qui consiste à rendre la pensée par de simples images d’hommes, d’animaux, de plantes, d’ustensiles, etc. ; mais celles qui s’élevèrent à une véritable civilisation n’en sont pas généralement restées là. A force d’être tracées rapidement et abrégées, les figures s’altérèrent dans leurs formes et finirent par ne plus offrir que des signes où il était souvent bien difficile de reconnaître le type originel. Le fait s’observe déjà quelquefois dans les peintures mexicaines, mais il se produisit sur une bien plus grande échelle en Égypte, où l’écriture hiéroglyphique était usitée depuis un temps immémorial. On y substitua pour le besoin journalier une véritable tachygraphie qu’on trouve employée spécialement sur les papyrus, et que les égyptologues nomment écriture hiératique. Plus tard même on en imagina une plus cursive encore, reposant sur un système à certains égards plus avancé ; c’est celle qu’on appelle démotique, parce qu’elle fut en usage aux derniers temps des pharaons et sous les Ptolémées chez presque toute la population égyptienne. En Chine, les images grossièrement tracées furent aussi promptement défigurées, et elles ne présentèrent plus qu’un ensemble de traits que le scribe exécuta avec le pinceau, et dont l’assemblage ne garde aucune ressemblance avec les figures dont elles sont cependant l’altération. Dans les écritures cursives employées en Chine, les signes se sont corrompus davantage, et n’ont affecté que des formes toutes conventionnelles. Arrivée à ce point, l’écriture figurative cesse d’être une peinture pour devenir une séméiographie, c’est-à-dire un assemblage de caractères représentant des idées et constituant ce que les archéologues appellent des idéogrammes. L’écriture cunéiforme, qui comprend divers systèmes, contient une foule de signes de cette nature. Les traits offrant l’aspect de flèches ou de clous y forment par leur groupement, varié à l’infini, de véritables caractères. Ces groupes cunéiformes, comme les plus anciens caractères chinois, reproduisaient grossièrement à l’origine la configuration des objets ; mais. les images se sont ensuite si fort altérées, qu’à de rares exceptions près on ne peut plus remonter aux prototypes iconographiques. On n’est en présence que de signes ayant une valeur purement mnémonique et dont un grand nombre affectent une valeur phonétique.