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fut là en tout cas un rejeton stérile, car l’invasion de l’alphabet arabe frappa de mort le tifinag.

On ne sait pas non plus d’une manière précise comment l’alphabet himyaritique alla s’implanter dans l’Hindoustan septentrional. L’écriture magâdhi, que nous connaissons par d’antiques inscriptions encore subsistantes au nord de la presqu’île gangétique, a été reconnue dans ces derniers temps pour un dérivé de la vieille écriture de l’Yémen ; ces caractères, qui doivent leur nom à la province de Magâdha, dont les rois étendirent, au IVe siècle avant notre ère, leur puissance au nord de l’Inde, affectent dans leur forme quelque chose de raide et de lourd qui nous reporte tout à fait à l’himyaritique. Ils sont au nombre de trente-six et se lisent de gauche à droite. L’écriture magâdhi est la souche de tous les systèmes graphiques employés postérieurement dans l’Inde ; ceux qui en sont issus par voie de modifications peuvent se diviser en deux groupes principaux. Le premier affecte des formes carrées ou rondes et ayant plus de largeur que de hauteur ; tels sont l’alphabet tamoul et l’alphabet birman. Le second présente des caractères où la hauteur l’emporte sur la largeur. C’est à ce second groupe qu’appartient l’écriture dévanâgari, autrement dite l’écriture divine des villes ; c’est celle par excellence des livres sanscrits. Elle ne date guère, au moins sous sa forme régulière actuelle, que du VIIe au Xe siècle de notre ère ; elle est élégante et nette, toutes les lettres étant surmontées d’une barre horizontale qui les encadre et permet de les aligner exactement par le haut. On dirait que les lettres sont disposées sur une portée de musique ; mais il en existe une forme plus cursive où la barre horizontale a disparu et dont le tracé est moins élégant. L’alphabet dévanâgari a été distribué par les grammairiens hindous par catégories de lettres, suivant leur prononciation, de façon à fournir toute une échelle vocale. Le dévanâgari comme le magâdhi, comme le persépolitain, offre une dernière trace du syllabisme primitif, l’a bref se prononçant avec toute consonne simple qui ne se lie pas directement à une autre voyelle.

Je n’énumérerai pas ici tous les alphabets qui sont sortis immédiatement ou médiatement du magâdhi, il me faudrait dresser une trop longue généalogie ; cette lignée s’est avancée jusqu’à Macassar. L’alphabet serait remonté peut-être jusqu’au Japon, s’il n’avait été arrêté en Cochinchine par l’écriture chinoise dont les Annamites faisaient usage et qui se dressa devant lui comme une autre muraille de la Chine. Le flot de l’invasion alphabétique vint mourir là ; plus tard le même vent devait pousser un second flot parti du même rivage, mais dont la nappe ne s’étendit pas sur un si vaste espace. L’islamisme apporta avec lui l’écriture arabe, qui s’introduisit ainsi dans l’Hindoustan et s’empara ensuite de l’idiome malais.