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lité des choses. Il n’y a qu’à le vouloir un peu énergiquement pour que les opinions sensées gardent l’ascendant, pour qu’elles aient la force de rallier le pays, de maintenir dans les assemblées, dans le gouvernement, dans toute la politique, ce caractère de modération qui seul peut garantir la France des oscillations violentes. C’est en définitive la pensée qu’un des représentans de ces opinions, M. Waddington, exprimait récemment dans une réunion des conseillers-généraux du département de l’Aisne. M. Waddington n’a pas prononcé son discours dans le conseil-général, évitant ainsi une illégalité qui n’est point sans doute d’une importance démesurée, mais qui est toujours une illégalité. C’est dans un banquet, devant le préfet lui-même, qu’il a exprimé des vues parfaitement sages. Rapprocher dans une action commune ceux qui ont accueilli les lois constitutionnelles avec confiance et ceux qui les ont votées ou qui les acceptent avec résignation, les hommes d’origine et d’opinion diverses entre lesquels peut se former une alliance patriotique sur le terrain même de la constitution, c’est là un programme tout pratique et qui n’en est que meilleur, qui a surtout l’avantage d’être approprié à une situation précise. C’est le programme d’un esprit sensé appelant les concours au lieu de les exclure, parlant de la république que les circonstances nous ont faite en libéral qui sent les grandeurs de la monarchie constitutionnelle, et qui les avoue. M. le président du conseil-général de l’Aisne, qui a eu la fortune d’être un ministre de quelques jours avant le 24 mai 1873, a su rencontrer cette mesure où l’esprit de parti n’est pas un trouble-fête. M. Waddington a parlé de l’histoire politique de l’assemblée sans amertume, de M. le président de la république sans affectation et avec bon goût ; il n’a point du tout éludé le nom de M. le maréchal de Mac-Mahon.

Que de peine a dû se donner de son côté M. le duc de Broglie pour éviter le nom de M. Thiers dans un banquet du département de l’Eure ! M. le duc de Broglie a voulu complimenter le président du conseil-général de l’Eure, M. Pouyer-Quertier, et il lui a fait honneur de la libération du territoire ; puis il a fini par dire que personne n’a délivré la France, que la France s’est délivrée toute seule, — et tout cela pour arriver à omettre le nom de l’ancien président de la république ! Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que M. Pouyer-Quertier a reçu le compliment à brûle-pourpoint et sans faire observer que, s’il a été ministre des finances au commencement de la libération du territoire, il y avait un chef de gouvernement qui a conçu l’œuvre patriotique, qui l’a conduite jusqu’au bout et l’a laissée achevée à ses successeurs. C’est donc entendu, la France s’est sauvée toute seule, et M. Pouyer-Quertier l’a tout au plus un peu aidée. Quant à M. Thiers, il n’existe pas, il n’a jamais existé ; son nom est biffé de l’histoire des partis, — il reste, il est vrai, dans la mémoire affectueuse du pays. Est-ce la peine d’avoir une position éminente,