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le poison préparé : croit-on que rien ne transpirera ? Britannicus ne manquera pas d’en être informé,

Et peut-être il fera ce que vous n’osez faire.


Voilà le premier coup porté ; mais Néron est prêt à le recevoir : il l’attend, il ne cédera pas. La voix de Burrhus est encore dans son oreille.

On répond de son cœur, et je vaincrai le mien.


Second assaut : appel à l’amour, à la jalousie.

Et l’hymen de Junie en est-il le lien ?


Néron ne faiblit pas encore ; mais il ne répond plus aussi directement à l’insinuation. Narcisse voit alors qu’un troisième coup est nécessaire. Il sait où il faut frapper « le monstre naissant ; » c’est dans son orgueil, dans ses rancunes d’enfant opprimé par une mère impérieuse, et aussi dans une légitime jalousie de son autorité.

Agrippine, seigneur, se l’était bien promis.


Ici la brèche est faite ; ce cœur, que la haine de Britannicus, la crainte de sa vengeance, l’amour de Junie, n’avaient pas entamé, le nom seul d’Agrippine suffit pour le vaincre. Narcisse sait que, depuis de longues années, Néron ronge le frein qu’il n’ose pas secouer. Agrippine l’a fatigué du poids de son orgueil. À ce seul nom, Néron fléchit : ses résolutions l’abandonnent ; Burrhus a tort et Narcisse l’emporte.

Mais, Narcisse, dis-moi, que faut-il que je fasse ?


On le voit, il consulte, il interroge, il demande grâce, il ouvre son cœur, il avoue sa dernière faiblesse : le poids d’une bonne renommée, la crainte de l’opinion et le souvenir fatigant « de trois ans de vertu. »

Narcisse sent bien qu’il a vaincu ; mais il ne faut pas que la victoire lui échappe. Il cesse d’insinuer ; il attaque en face. Aux scrupules de Néron, il oppose la servitude innée des Romains, leur lâche adulation, leur insolence encouragée par sa bonté. — Néron, de son côté, se sentant vaincu, veut faire une dernière défense : il se couvre du nom et de l’autorité du vertueux ministre. « J’ai promis à Burrhus. » Ce n’est plus qu’une défense pour l’honneur ; il attend, il semble demander une réponse qui désarme ses derniers scrupules. Narcisse n’a pas de peine à le satisfaire ; c’est encore au