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métaphysique, quand ils cherchent à obtenir de nous ce renoncement en nous disant que la bonne manière de dépenser nos facultés est de les employer à connaître les choses réelles au point de vue de leurs conséquences, et à rechercher les autres choses qui sont ce que nous avons à faire pour amener les résultats les plus utiles, ils ne font qu’appliquer à un autre but l’habitude et le précepte que l’église catholique s’était efforcée depuis longtemps d’inculquer à ses fidèles. A partir du concile de Trente surtout, on sait que tous les devoirs religieux de l’individu ont été réduits à l’obligation de n’avoir aucune théologie personnelle : pratiquement cela revient à enseigner aux hommes que la bonne règle de conduite consiste pour eux à ne pas se permettre même de demander à leur conscience ce qu’elle peut penser des volontés divines, et à tourner toutes leurs facultés vers l’accomplissement des choses qu’ils ont lieu de regarder comme les plus utiles à leur salut.

Mais ce sont là des mots qui laissent ma pensée fort indécise. Pour savoir au juste en quoi consiste la phase morale que traverse l’Europe, il est indispensable, comme je le disais, de jeter d’abord un coup d’œil en arrière sur ce qui l’a précédée. Un ouvrage de M. Lecky, qui mérite à un haut point d’être signalé, me facilitera ma tâche. Dans l’espace de deux volumes, l’auteur s’est chargé de nous fournir un riche tableau du développement intellectuel de l’Europe moderne.


I

M. Lecky a soigneusement précisé l’intention de son œuvre. Il s’est proposé, nous dit-il, d’étudier la naissance et l’influence du rationalisme en Europe, et ce rationalisme, il le définit lui-même comme l’esprit séculier qui a de plus en plus porté les hommes à juger les questions de fait ou de conduite d’après leur propre raison et leur propre conscience, au lieu de chercher leur norme dans une théologie reçue. Ce qu’il s’était proposé, M. Lecky l’a accompli, et bien accompli. Dans une série de chapitres, nourris de documens minutieux et remplis aussi de ces jugemens précis qui ne sont possibles qu’à un esprit largement instruit et profondément scrupuleux, il nous retrace d’une façon fort complète l’historique de la croyance à la sorcellerie et à la magie, — les phases par lesquelles ont passé la foi aux miracles et la tendance à matérialiser l’idéal, — l’invasion du rationalisme dans la morale, la philosophie et l’interprétation de la religion, — les vicissitudes de l’esprit de persécution et d’intolérance, — la sécularisation graduelle de la politique, — et l’histoire du rationalisme dans l’économie politique et l’industrie.

L’auteur a même tenu plus qu’il n’avait promis, car en réalité il