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de leur foi, c’est l’idée d’un médiateur conçu comme une personnification de la bonté seule de Dieu et par lequel l’homme peut échapper à la nécessité de subir les lois du législateur souverain.

On est trop habitué, je crois, à supposer que c’est là l’essence du christianisme lui-même. Le Nouveau-Testament au contraire nous représente le fondateur du christianisme comme déclarant qu’il ne vient pas abolir un seul ïota de la loi, et ailleurs il nous le montre résumant ainsi sa propre doctrine : « Moïse vous avait dit : Tu ne tueras pas, tu ne mentiras pas, tu ne convoiteras pas ce qui appartient à ton prochain ; moi je vous dis : Aie en toi l’amour de Dieu, le père de tous les êtres, et l’amour de tes frères, toute la loi est là. » De fait, il y avait là plus que la loi, car ces deux préceptes signifiaient que ce n’est pas assez de s’abstenir des actions malfaisantes en sacrifiant sa volonté par crainte d’un châtiment : ils exigeaient que chacun eût les bonnes volontés qui enfantent mille fois plus d’actions bienfaisantes qu’aucune loi n’en peut ordonner. Il me semble que, sous le nom de foi, de grâce, de sauveur, de rédemption, le Nouveau-Testament n’enseigne pas autre chose qu’un moyen de régénération morale. Il annonce que Dieu ne s’est pas contenté de faire connaître aux hommes ce qu’il exigeait d’eux, qu’il leur a encore envoyé un être visible en qui ils peuvent connaître et par qui ils peuvent recevoir le bon esprit, qui, une fois en eux, les sauve du mal en leur donnant des volontés conformes à celles du Tout-Puissant.

Mais dès l’instant où cette doctrine passe chez les races qui n’ont jamais fait qu’une prière : fiat voluntas mea et non tua, c’est par leurs propres pensées naturellement qu’elles interprètent les mots du christianisme. En conséquence l’idée du mauvais esprit qui rend inévitables les mauvaises volontés et celle du salut par une régénération morale sont ce qui disparaît, ce qui reste invisible pour l’intelligence des païens christianisés. La Grèce pour sa part s’abandonne à son penchant métaphysique et ne songe qu’à spéculer sur la nature intrinsèque de Dieu. Comme par le passé, elle est résolue à tout voir, à tout se représenter, à se persuader par les représentations de son imagination qu’elle est capable de voir même l’invisible ; et déjà chez les Origène, les Clément d’Alexandrie, cette métaphysique imagée dévore ce qui était l’essence commune du judaïsme et du christianisme. Le Juif en effet n’avait pas de théologie spéculative. Il ne se permettait pas plus de se façonner des images intellectuelles que de se tailler des images matérielles de Dieu. Pour mieux dire, son Dieu était en dehors des choses visibles et au dedans de l’homme. C’était l’indicible contrainte qu’il sentait agir au sein de son être : c’était en quelque sorte sa conscience de lui-même, sa manière de se confesser qu’il avait été fait