Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

révoltés, l’église, avec sa foi romaine en la toute-puissance des commandemens, en est venue au contraire à enjoindre le renoncement à toute croyance personnelle, et en prenant ce parti elle s’est mise dans la nécessité d’en prendre un autre. Par cela seul qu’elle se séparait des intelligences, il a fallu qu’elle cherchât son point d’appui dans les masses incultes et dans les instincts déraisonnables qui se cachent sous la raison des hommes les plus intelligens. C’est ainsi qu’elle a sanctionné, érigé en dogmes formels un grand nombre des antiques légendes qui à leur heure n’avaient été que les naïves illusions d’une crédulité susceptible de guérison. Des statues miraculeuses, des patrons célestes qui gracient ce que Dieu réprouve, une justice divine qui envoie des calamités et des défaites nationales pour punir à gauche ceux qui ont violé à droite un certain commandement ecclésiastique, où qui donne la prospérité en récompense d’un temple élevé sous un certain vocable, — en un mot une multitude de moyens de grâce surnaturels dont le clergé dispose et qui assurent aux dociles des faveurs et des indulgences, voilà ce que l’église a repris au passé. En définitive, ce qui s’est parachevé, c’est un système de direction qui, pour des fins autres que celles du positivisme, emploie une méthode analogue à la sienne, car tous les organes dont il s’est armé ont pour but d’éloigner les hommes des mauvaises décisions pratiques en les amenant à n’avoir d’autre souci que d’accomplir par intérêt ce qui leur est commandé par l’autorité, qui connaît le mieux les conséquences des choses.


IV

Le protestantisme aussi est loin d’avoir rompu avec la tradition gréco-romaine, et il est même sous un rapport une preuve encore plus frappante de l’empire que cette tradition a gardé sur les intelligences ; il l’est en ce sens que, tout en se prononçant contre elle, il n’a pas réussi à s’y soustraire. Rien de plus complet cependant que la révolution morale d’où la réforme était sortie. A la considérer dans sa source et son but, elle indiquait bien qu’une faculté nouvelle avait pris le dessus. Si Luther avait cessé de croire aux moyens matériels d’expiation et de propitiation, c’était parce qu’il avait regardé au dedans plutôt qu’au dehors, parce que, au lieu d’être tout préoccupé de ce qu’il faut faire, il avait été obsédé par le sentiment que le salut ou la perte de l’homme dépend du je ne sais quoi qui agit en lui, qui est lui, et qui détermine toutes ses pensées. Aussi la religion avait-elle été comme retournée. Le moyen de salut s’était spiritualisé : il consistait dans une foi, c’est-à-dire dans une conviction de l’esprit et un sentiment de la conscience