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l’ayant ouverte, un petit homme maigre et jaune comme de la cire, vêtu d’une lévite couleur de rose qui traînait jusqu’à terre, se glissa par la fente. Chaike le regarda étonnée.

— Ne reconnais-tu plus Salomon Yarmurek Atlas ? demanda le petit homme d’une voix de fausset ; c’était cependant im ami de ton père, à qui Dieu veuille donner le repos éternel !

— Je te connais bien, mais je suis surprise que tu viennes dans la maison d’un maudit.

— Pourquoi n’y viendrais~je pas, puisqu’il s’agit d’affaires ?

— Des affaires avec moi ? — Chaike sourit douloureusement.

— Je connais ta position, dit Salomon, mais je sais aussi que quatre yeux voient mieux que deux yeux et que quatre mains font plus de besogne que deux mains. Je viens donc te soumettre une proposition, Chaike. Ma femme s’est fait enlever par un capitaine de hussards, je lui ai envoyé une lettre de divorce, et, si tu y consens, je t’épouserai volontiers. Qu’en dis-tu ?

Chaike continuait de toiser, à demi moqueuse, à demi effarée, son singulier adorateur : — J’ignore si mon mari est mort ou vivant, comment me remarierai-je ?

— Ton mari est changé en âne, tu le sais bien.

Elle secoua la tête : — Le prophète Élie, qui est venu chez moi sous la figure d’un vieux mendiant, m’a promis qu’il reviendrait.

— Pauvre femme ! le malheur lui a troublé l’esprit ! gémit Salomon ; enfin, si tu foules aux pieds ton bonheur en repoussant un mari tel que moi, fais-moi donc connaître du moins en quoi je puis te secourir, car je me suis mis en tête de t’être utile, aussi vrai que j’ai été l’ami de ton digne père.

— Merci ; mais comment pourrais-tu me secourir, étant pauvre toi-même ? Le seul moyen serait de me procurer des marchandises pour mon commerce.

— Je peux te procurer sinon des marchandises, en tout cas l’argent pour en avoir, car je connais à Kolomea un homme riche qui te prêtera contre une lettre de change.

— Il me prêtera si je lui offre des garanties, répondit Chaike, mais c’est justement ce qui me manque.

— Une idée ! fit Salomon, regardant autour de lui et inclinant son museau de renard vers l’oreille de la petite femme. Il y a un gros propriétaire de Sadagora du même nom que moi, Salomon Atlas, qui se porte garant pour les lettres de change d’autrui. Que penserais-tu d’aller avec moi chez le richard dont je t’ai parlé ? Je lui dirais : — Je suis Salomon Atlas… Ne serait-ce pas vrai ? — Et il nous prêterait n’importe quelle somme.

— Quelle fourberie ! s’écria Chaike.