Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comptaient en grand nombre, pillèrent ensuite la maison de leur victime et celles de plusieurs autres citoyens réputés hostiles à la révolution. Ces scènes de meurtre et de dévastation se passaient en présence d’une garde nationale mal armée qui n’osait intervenir. Le bailliage, les officiers municipaux, ne se montraient pas. Enfin le comité requit la troupe de rétablir l’ordre, ce qui ne fut pas long, car les honnêtes gens de tous les partis, que de tels excès indignaient, étaient en majorité. Des arrestations furent opérées en grand nombre, puis les poursuites commencèrent par les soins de l’avocat du roi au bailliage, qui par malheur ne sut pas s’affranchir de tout esprit de parti dans l’accomplissement de ce devoir. Des hommes que l’on avait vus s’interposer entre Claude Huez et ses bourreaux le jour du crime furent mis en prison sous le prétexte qu’ils avaient pris le parti du peuple dans les troubles du mois précédent. En somme, cinq individus furent condamnés à la peine de mort pour cet attentat et huit autres aux galères ou à l’emprisonnement.

C’est une conséquence naturelle d’un crime de rehausser les mérites de celui qui en est la victime et de faire oublier ses fautes : aussi le souvenir de Claude Huez est-il toujours honoré par ses concitoyens ; mais, bien que M. Babeau le loue sans réserve, il résulte du récit des faits tels que son livre les expose que le maire et ses amis voulaient résister à outrance à toutes les réclamations de la foule, qu’ils étaient devenus impopulaires et néanmoins ne voulaient pas céder le pouvoir. Camusat de Belombre, le député de la ville aux états-généraux, n’était pas un énergumène, seulement il voyait à Versailles, sans doute mieux qu’à Troyes, la portée des événemens ; il leur écrivait de ne pas éluder toutes les demandes par crainte que le peuple ne prît de force ce qu’on refusait de lui accorder de bonne grâce.

Au moment où les institutions de l’ancien régime s’écroulaient de toutes parts, ce que la population voulait avant tout était de reconquérir ses franchises municipales, d’avoir en un mot un corps municipal qui la représentât. Elle le voulait sans mesure, convenons-en, parce qu’elle était sans expérience, elle inventait un comité qui n’était que le produit d’élections illégales ; puis, lorsqu’une municipalité issue du suffrage populaire eut été installée, celle-ci, non satisfaite de ses attributions, prétendit empiéter sur les pouvoirs du département ou de la nation. De là une autre lutte que M. Babeau raconte avec des détails minutieux et fort intéressans, lutte pacifique d’ailleurs et qui révèle assez bien les tendances de l’époque, quoique les historiens l’aient négligée dans l’ensemble de ces prodigieux événemens.