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procédés grossiers et barbares, soit qu’il s’agît de l’industrie ou du culte ? L’inquisition par exemple était-elle autre chose qu’une douane ? Les auto-da-fé qui servaient à protéger le culte privilégié n’avaient-ils pas été imités plus tard au profit de la protection de l’industrie ? Aux auto-da-fé d’hérétiques n’avait-on pas vu succéder des auto-da-fé de marchandises anglaises ? Si la prohibition religieuse et la prohibition industrielle employaient les mêmes instrumens, on retrouvait aussi les mêmes argumens dans la bouche de leurs adversaires. Quel avait été le principal argument de Cobden et de ses associés dans la campagne du free-trade ? N’était-ce pas l’intérêt bien entendu de l’industrie elle-même ? N’avaient-ils pas démontré que la faveur prétendue de la protection engourdissait et débilitait l’industrie ? Ne citaient-ils pas à l’appui l’exemple de l’Espagne que M. de Montalembert devait invoquer, presque dans les mêmes termes, contre le système de la protection religieuse ? L’analogie n’était-elle pas frappante ? Elle l’était à ce point qu’au lendemain du congrès de Malines l’organe attitré du libre-échange félicitait l’illustre orateur de sa courageuse initiative en le qualifiant de « Cobden de la liberté religieuse. »

Mais, si les deux causes procédaient du même principe, leurs destinées devaient être bien différentes. La cause de la liberté commerciale a fini par être gagnée auprès des industriels, celle de la liberté religieuse a échoué auprès de l’église. Le pape Pie IX a confirmé la condamnation portée par Grégoire XVI contre les doctrines qui tendent à séparer l’église de l’état, et à la soumettre à la loi commune. L’encyclique et le Syllabus ont mis fin à l’agitation du libéralisme catholique. Les catholiques libéraux ont dû y renoncer sous peine de tomber dans le schisme, et, comme si cette épreuve n’était pas suffisante, il leur a fallu, après avoir subi l’encyclique et le Syllabus, accepter le dogme de l’infaillibilité du pape. Quelques-uns se sont révoltés comme le père Hyacinthe, d’autres se sont soumis, comme M. de Montalembert, en se résignant à un douloureux silence ; mais les doctrines libérales du congrès de Malines ont-elles cessé de vivre dans les âmes ? Ces 3,000 auditeurs du petit clergé qui les acclamaient avec un enthousiasme si naïf et si sincère dans la bouche de M. de Montalembert ont-ils cessé d’y avoir foi ? Ils se sont soumis extérieurement ; mais ces brûlantes paroles de liberté n’ont-elles laissé aucune trace au fond des consciences ? N’y a-t-il plus de catholiques libéraux ? Il y en avait encore après l’encyclique de 1832 : il est permis de croire qu’il en est resté après l’encyclique de 1864, et on peut augurer même que la force des choses leur donnera tôt ou tard gain de cause.