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l’occasion d’une grande calamité universelle, et, pour parler avec l’humoriste anglais, profiter de l’éruption du Vésuve pour se cuire un œuf à la coque ! M. de Bismarck eut à ce moment un mot cruel, mais qui n’était pas tout à fait immérité : « la France, dit-il à un ancien ministre de la confédération germanique, la France fait une politique de pourboire… »

Une lettre écrite par M. Rouher à la date du 6 août 1866, et recueillie depuis parmi les papiers des Tuileries[1], nous fait voir les étranges illusions que nourrissait alors le gouvernement français, et que l’ambassadeur de Prusse à Paris entretenait de son mieux. « M. de Goltz trouve notre prétention légitime en principe, mandait le ministre d’état ; il considère que satisfaction doit être donnée au seul vœu de notre pays pour constituer entre la France et la Prusse une alliance nécessaire et féconde. » L’embarras est seulement de bien déterminer la somme des exigences qu’on doit poser. « L’impératrice voudrait demander beaucoup ou rien, pour ne pas compromettre nos prétentions définitives. » Pour M. Rouher, il pense que « l’opinion publique aura un aliment et une direction, si demain nous pouvons dire officiellement : la Prusse consent à ce que nous reprenions les frontières de 1814, et à effacer ainsi les conséquences de Waterloo. » Bien entendu, le ministre d’état n’admet pas « que cette rectification obtenue vaille quittance pour l’avenir ! » — « Sans doute, il faudra que de nouveaux faits se produisent pour que de nouvelles prétentions s’élèvent, mais ces faits se produiront certainement. L’Allemagne n’en est qu’à la première des oscillations nombreuses qu’elle subira avant de trouver sa nouvelle assiette. Tenons-nous plus prêts, à l’avenir, à profiter mieux des événemens ; les occasions ne nous manqueront pas. Les états du sud du Mein notamment seront d’ici à peu d’années une pomme de discorde ou une matière à transaction. M. de Goltz ne dissimule pas dès à présent des convoitises vis-à-vis de ce groupe de confédérés… » Ainsi au moment même où l’on se glorifiait de « sauver » les états du sud, d’établir au-delà du Rhin une combinaison politique nouvelle que le ministre d’état devait bientôt décorer du fameux nom de trois tronçons et déclarer merveilleusement

  1. Papiers et correspondance de la famille impériale, t. II, p. 225-228. — Les éditeurs prétendent que cette lettre était adressée à M. de Moustier, ce qui est de tous points erroné, M. de Moustier se trouvant alors à Constantinople. Nous inclinons à croire que le destinataire était M. Conti, qui avait accompagné l’empereur à Vichy. On se rappelle que Napoléon III, très irrité et souffrant pendant toute cette époque, s’était rendu le 27 juillet à Vichy, où vint le voir pour un moment M. Drouyn de Lhuys ; le chef de l’état ne put toutefois prolonger son séjour dans la ville d’eaux et fut de retour à Paris dès le 8 août.