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seulement permis de l’espérer, pourvu que notre langage fût ferme et notre attitude (résolue. » A-t-on manqué de fermeté ou n’en a-t-on montré que trop ? M. de Bismarck affirme dans tous les cas avoir répondu sur un ton qui ne laissait pas certes d’être résolu. « Fort bien, aurait-il répliqué aux instances pressantes de l’ambassadeur, alors nous aurons la guerre ! Mais faites bien observer à sa majesté l’empereur qu’une guerre pareille pourrait devenir dans certaines éventualités une guerre à coups de révolution, et qu’en présence de dangers révolutionnaires les dynasties allemandes feraient preuve d’être plus solidement établies que celle de Napoléon[1]. »

Ce ne fut pas là toutefois le dernier mot du ministre prussien. Bien décidé à ne pas admettre la discussion au sujet du Rhin, il tint cependant à ne pas complètement décourager l’ambassadeur français et à continuer avec lui un jeu qu’il devait plus tard, dans sa circulaire du 29 juillet 1870, appeler du nom, inconnu jusque-là dans le dictionnaire de la diplomatie, de négociations dilatoires. Il parla de son penchant pour Napoléon III, de sa grande ambition de résoudre de concert avec lui les problèmes importans de l’avenir. « Il faut à la Prusse l’alliance d’une grande puissance, » c’était là sa conviction intime, il ne cessait de le prêcher au roi son auguste maître, — et quelle alliance plus désirable, au point de vue du progrès et de la civilisation, que celle de l’empire français ? Il revint ainsi à ses récens épanchemens de Brünn et de Nikolsbourg, il insinua « qu’on pourrait prendre d’autres arrangemens propres à satisfaire les intérêts respectifs des deux pays[2], » et fortifia M. Benedetti dans son dessein de se rendre à Paris et d’exposer la situation à qui de droit.

A Paris, la lutte d’influences était engagée avec vigueur entre le ministre des affaires étrangères et l’ambassadeur de Prusse, M. de Goltz, puissamment secondé par le parti de l’action, auquel l’arrivée de M. Benedetti (11 août) vint apporter un appoint considérable. M. Drouyn de Lhuys ne fut nullement surpris de l’ingratitude prussienne, comme s’était exprimé M. Benedetti dans une de ses dernières dépêches[3], mais, par une logique qui nous échappe, il

  1. Benedetti, Ma Mission en Prusse, p. 177 et 178. — Moniteur prussien (Reichsanzeiger) du 21 octobre 1871.
  2. Ma Mission en Prusse, p. 181. Cette assertion de M. Benedetti se trouve pleinement confirmée par la note trouvée parmi les papiers des Tuileries dont il sera parlé plus loin.
  3. « La Prusse méconnaîtrait ce que commandent la justice et la prévoyance et nous donnerait en même temps la mesure de son ingratitude, si elle nous refusait les garanties que l’extension de ses frontières nous place dans l’obligation de revendiquer. » Dépêche de M. Benedetti, du 5 août 1866, trouvée au château de Cerçay parmi les papiers de M. Rouher, et publiée dans le Moniteur prussien du 21 octobre 1874. — Vers la même époque, on parlait aussi de l’ingratitude de l’Italie. « L’ingratitude injustifiable de l’Italie irrite les esprits les plus calmes, » écrivait M. Magne dans sa note confidentielle pour l’empereur en date du 20 juillet. Le cabinet de Florence en effet suscitait à la France à ce moment des embarras inouïs par des susceptibilités et des exigences pour le moins fort déplacées. Après avoir été battus par terre et par mer, à Custozza et à Lissa, et avoir reçu en récompense le magnifique cadeau de la Vénétie, les Italiens élevaient encore des prétentions sur le Tyrol ! Il y eut même un instant où l’empereur pensa « renoncer au funeste présent qui lui a été fait et déclarer, par un acte officiel, qu’il rendait à l’Autriche sa parole. » Voyez la curieuse note de M. Rouher pour l’empereur, Papiers et correspondance de la famille impériale, II, p. 229 et 23.