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de la Neva. Pour parler le langage du marquis La Marmora, c’était un ours des Balkans, qui ne se portait pas bien depuis longtemps, et que l’empereur Nicolas avait déclaré malade déjà vingt ans auparavant. On verra dans la suite qu’Alexandre Mikhaïlovitch n’en manqua pas moins le fauve lors de la battue générale de 1870, qu’il réussit à peine à lui arracher une poignée de poils bonne tout au plus pour en orner son casque : cela n’ôte rien au mérite de perspicacité dont l’infortuné négociateur de l’acte secret sur la Belgique avait fait preuve à cette occasion. M. Benedetti entrevit de bonne heure la désolante vérité, qui, pour M. Thiers, ne ressortit que bien tard du fond de ce canon russe dont M. de Bismarck lui permit un soir à Versailles le dépouillement avec une libéralité qui n’était pas certes exempte de malice.

En essayant, après le grand désastre de la campagne de Bohême, d’obtenir de la Prusse des compensations tantôt sur le Rhin et tantôt sur la Meuse, l’empereur Napoléon III n’avait fait, dans ces mois de juillet et d’août 1866, que faciliter à M. de Bismarck les deux grandes combinaisons politiques qui lui furent depuis, en 1870, d’une utilité si prodigieuse : le concours armé des états du sud et l’assistance morale de la Russie dans l’éventualité d’une guerre avec la France. La faute capitale pourtant de la politique napoléonienne au lendemain de Sadowa, ce fut d’avoir si bien servi la Prusse dans son désir de se soustraire à tout contrôle de l’Europe, et d’avoir donné sa sanction de prime abord à un dérangement si immense de l’équilibre du monde, sans que la cause fût portée devant l’aréopage des nations. Cet oubli des devoirs envers la grande famille chrétienne des états ne fut que trop vite et trop cruellement vengé, hélas ! et le prince Gortchakof ne suivit en 1870 qu’un exemple récent et funeste en laissant la France et l’Allemagne vider leur querelle en champ-clos, en empêchant toute action commune des puissances, tout concert européen. « Je ne vois pas d’Europe ! » devait s’écrier en 1870 M. de Beust dans une dépêche demeurée célèbre, et personne ne pensa à s’inscrire en faux alors contre cette affirmation douloureuse. D’aucuns seulement se permirent d’observer avec tristesse que l’éclipsé durait déjà depuis plusieurs années, qu’elle datait des préliminaires de Nikolsbourg et du traité de Prague.


JULIAN KLACZKO.