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LE DERNIER LIVRE DE PROUDHON.


Œuvres posthumes de P.-J. Proudhon : La Pornocratie, ou les Femmes dans les temps modernes, A. Lacroix et Cie, 1875.


Quand renoncera-t-on à la fâcheuse habitude de vider les portefeuilles des écrivains morts ? À quoi bon livrer à la curiosité languissante ou à l’indifférence du public non-seulement le grossier canevas d’une œuvre à peine ébauchée, mais des fragmens ramassés çà et là, des lambeaux décousus, des notes griffonnées à la hâte, des bribes de périodes, les tâtonnemens d’une pensée qui se cherche, tout ce qu’un auteur qui médite peut bien se dire à lui-même dans cette langue personnelle et abrégée dont seul il possède la clé ? Après avoir donné au lecteur le dessus du panier, on retourne le sac pour s’assurer qu’il ne reste rien au fond ; les papiers froissés et lacérés, les comptes de ménage, les chiffons, les rebuts, tout y passe. On dira peut-être que les fragmens ont leur prix, que dans le misérable état où elles nous sont parvenues, nous sommes heureux de posséder les Pensées de Pascal. Il faut répondre que Pascal était Pascal, c’est-à-dire une grande âme mystérieuse et tragique dont les secrets intéressent l’humanité tout entière, et un incomparable écrivain qui a mis la griffe du lion dans ses esquisses les plus inachevées. Le musée des antiques compte parmi ses trésors les plus enviables quelques torses, chefs-d’œuvre estropiés qui méritaient de recevoir leurs invalides ; ils sont plus admirés des artistes que beaucoup de statues sorties saines et sauves de la bataille des siècles. Il est des débris immortels, laissons les autres parmi les balayures que l’histoire, cette bonne ménagère, ennemie de toutes les choses inutiles qui prennent de la place, amasse chaque matin devant sa porte.

Nous ne voyons pas bien ce que la publication du dernier ouvrage de Proudhon ajoute à sa renommée. Si on avait pu le consulter, il eût désapprouvé le zèle intempérant de ses éditeurs, il eût demandé grâce pour ses brouillons. Il rédigeait, paraît-il, « avec une rapidité dont ne peuvent se faire l’idée que ceux qui l’ont connu dans sa vie intime. » Il faisait toutes ses corrections sur épreuves et il en faisait beaucoup. Au surplus, quand il entreprit de composer son livre sur les femmes, il ressentait les atteintes de la maladie qui devait bientôt l’emporter, et sa plume, pour mieux dire son épée, pesait à la main de l’obstiné lutteur, qu’étonnait sa lassitude. Ce que Proudhon pensait des femmes, nous le savions déjà ; il s’en était expliqué tout au long et selon sa coutume un peu brutalement dans le plus important de ses écrits, dans son ouvrage sur la justice. Ses théories furent jugées impertinentes, elles soulevèrent de violentes oppositions dans toute une moitié du