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son domicile et sa propriété. L’homme le plus distingué du monde, qui a rendu à son pays les plus grands services, ne pourra se présenter que là ; s’il a en concurrence avec lui quelque riche ignorant et ambitieux, qui par son argent exerce plus d’influence sur les électeurs de cette petite circonscription, c’est ce riche qui sera élu, et l’homme capable ne parviendra jamais à représenter son pays. En outre à chaque élection on voit une lutte fort peu recommandable s’établir entre les concurrens : comme la fortune des uns et des autres ne suffirait pas pour gagner tous les suffrages, on se déclare partisan de tel ou tel chef de parti qui a besoin d’être appuyé à la chambre pour rester ministre ou pour le devenir. On obtient de lui des promesses que l’on transmet aux électeurs pour les séduire. Une fois élu, le député en exige l’accomplissement et tient le ministre dans une servitude inévitable. Au fond, des intérêts privés ont fait élire le député ; la chambre ne représente que des groupes d’intérêts privés, et ce sont ces intérêts privés qui gouvernent sous le nom des ministres. Or c’est une erreur de croire que des intérêts personnels en se groupant soient identiques à l’intérêt général. Toute la législation électorale de la Grèce repose sur cette erreur. Du jour où, sans condition de domicile ou de propriété, tout citoyen pourra se porter candidat dans toute partie de la Grèce, on verra disparaître de la conduite de l’état cette cohue de gens qui viennent y faire leurs affaires et celles de leurs amis sans souci des intérêts généraux du pays. C’est alors aussi seulement que le crédit pourra naître et que les étrangers ne craindront plus d’apporter dans la société grecque leur savoir et leurs capitaux.

C’est donc sur leur propre législation que les Hellènes doivent porter leur attention, s’ils veulent guérir leur patrie des blessures qu’un mauvais régime lui a faites. Il s’est formé durant la dernière crise un parti républicain assez fort, et la tendance des esprits en ce sens s’est visiblement accusée. En réalité, ce n’est pas la forme monarchique du gouvernement qui perpétue le malaise dont souffre le pays. L’existence d’une seule chambre ôte à la royauté une grande partie de ses privilèges et fait que le dernier mot peut toujours rester à la nation. Toutefois il faut pour cela que la nation soit sincèrement et complètement représentée ; or personne ne peut prétendre que la nation grecque le soit par sa chambre. Le ministère qui vient de succéder à M. Bulgaris a laissé une liberté entière aux élections et n’a manifesté sa présence que pour y maintenir l’ordre ; mais avec les meilleures intentions et la plus parfaite équité un ministère ne fera pas que l’intérêt national domine là où les électeurs n’apportent que leurs convoitises personnelles. Nous ne pouvons donc pas attendre une amélioration très prochaine