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Les papes ne correspondent avec les rois chevelus que pour les féliciter de leur piété, recommander à leur bienveillance des candidats aux prélatures, solliciter leurs largesses en faveur de certains monastères ou leur protection pour les missionnaires qu’ils envoyaient catéchiser les peuples[1]. Bien loin de chercher à les diriger ou à les dominer, ils protestent de leur respect et de leur soumission. Leur action vis-à-vis de l’église elle-même est très limitée. Ils correspondent de loin en loin avec le clergé franc pour traiter des questions de dogme, le prémunir contre les hérésies, ou juger les appels que les prêtres pouvaient interjeter des décisions des conciles. L’église nationale, dans cette première période de la monarchie, est indépendante de la suprématie romaine, et cette indépendance est même si complète que Grégoire de Tours, dans toute son histoire, ne cite qu’un seul fait où la papauté soit intervenue directement dans l’administration ecclésiastique du royaume. A l’avènement des Carlovingiens, les choses changèrent de face.

En 725, Grégoire II, menacé sur le sol même de l’Italie par les empereurs de Byzance, réclame contre Léon, surnommé l’iconoclaste, l’appui de Charles Martel, et lui envoie les clés du tombeau de saint Pierre, pour témoigner par là qu’il lui en confiait la garde. En 740, son successeur Grégoire III s’adresse encore au vainqueur de Poitiers pour implorer le secours de ses armes contre les Lombards[2]. En échange de l’intervention qu’il réclame, il le nomme consul et patrice, c’est-à-dire défenseur de Rome, et c’est sans doute en souvenir de ce fait que nos rois ont pris le titre de protecteurs-nés du saint-siège. Charles Martel, par des motifs qui nous échappent aujourd’hui, se contenta de se porter médiateur ; mais de nouvelles négociations furent entamées auprès de Pépin le Bref par Etienne II, et cette fois elles déterminèrent une intervention armée. Pépin passa les Alpes en 754 et 755 pour mettre un terme aux vexations que les Lombards faisaient subir au saint-siège. Il leur enleva l’exarchat de Ravenne et le donna au pape en y ajoutant la Pentapole malgré les protestations de l’empereur de Byzance Constantin Copronyme, qui en réclamait la souveraineté. En faisant au saint-siège ce magnifique présent, qui donnait sous le nom de domaine de saint Pierre une base territoriale à sa puissance cosmopolite, Pépin n’avait fait que payer une dette. On sait en effet qu’au moment de détrôner le Mérovingien Childéric III, il avait consulté le pape Zacharie sur la question de savoir s’il pouvait prendre la couronne, et Zacharie, qui ne professait pas encore

  1. Sancti Gregorii papœ Epistolœ, lib. V, epist. 26. — Recueil des historiens de France, lettre de Pelage à Chilpéric, t. IV, p. 74.
  2. Aimoin, Hist., liv. IV, ch. 57.