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déroulant sans trêve les cours des fonds d’états, des sociétés particulières, des marchandises et des changes dans tous les pays : ces bandes renferment véritablement les lignes d’un immense livre politique, industriel et commercial, qu’il faut un grand travail pour comprendre, une vraie intelligence pour coordonner. Dans nos assemblées politiques, combien d’hommes d’affaires ont conquis par leur parole la sympathie de leurs collègues ! Combien agissent encore mieux qu’ils ne parlent lorsqu’ils prennent part à l’administration du pays ! Mais sur leur propre terrain, dans la limite de leurs occupations, que d’hommes d’affaires se distinguent par des connaissances sérieuses et se livrent à des études diverses comme les ordres de faits sur lesquels elles s’exercent ! Pour la plupart d’entre eux, il n’y a pas seulement à poursuivre la fortune et la puissance qu’elle donne, mais ils veulent aussi atteindre un véritable résultat scientifique, à savoir la connaissance des réalités humaines, la science de l’histoire contemporaine de tous les peuples dans leur situation financière et économique, publique et privée.

L’esprit d’affaires proprement dit ne constitue pas, il faut le reconnaître, une qualité banale et de second rang. Le définir serait difficile ; qu’on nous permette d’en citer un rare exemple, il fera bien comprendre ce que nous entendons par ce mot. Peu d’hommes d’état dans les dernières années ont conquis une illustration aussi grande que celle du comte Duchatel, l’éminent ministre du roi Louis-Philippe. A un savoir étendu, à un vrai talent de parole, à un caractère honorable et sûr, il joignait la perspicacité la plus prompte des hommes et des choses ; il excellait aussi dans la conversation intime, et tous ceux avec qui il causait en tête-à-tête dans son cabinet de travail garderont le souvenir de la fécondité de ses aperçus, de sa verve, de ses critiques, du brillant de sa parole. Comme tous les hommes qui ont des opinions fermes et arrêtées, qui appartiennent à un parti et s’honorent de leurs amitiés politiques, le comte Duchatel n’échappait point aux entraînemens de l’improvisation et dépassait quelquefois dans le feu de la causerie à l’égard de ses adversaires les limites étroites de l’éloge ou du blâme ; mais alors, qu’un mot l’appelât sur le terrain des affaires, sur l’appréciation des finances publiques où il était passé maître, sur celle des entreprises privées, dont il connaissait le plus grand nombre, la juste mesure de son esprit, cette qualité supérieure en lui, reprenait tout son empire ; il analysait avec un soin merveilleux les sources de la prospérité matérielle du régime dont il venait de médire à d’autres points de vue, il saisissait avec un instinct toujours sûr les avantages ou les mauvaises chances de telle ou telle combinaison industrielle, quels qu’en fussent les