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sur ses opinions, et nous retrouverons chez lui l’ardeur de sentimens et la vigueur de haine de ses compatriotes les poètes sibyllins. Est-ce en Orient qu’il a vécu ? L’auteur d’une savante histoire de la littérature chrétienne, M. Ebert, le suppose, mais il me semble difficile de le croire : comme il voulait être populaire et qu’il écrivait en latin, il a dû vivre dans un pays où le latin était la langue commune. On a même conjecturé qu’il habitait l’Afrique, où cette forme de vers sans mesure qu’il a choisie était fort répandue. Il avait été élevé dans la religion ancienne, et, comme il était dans sa nature de ne rien faire à demi, il est probable qu’il fut païen ardent avant de devenir chrétien passionné. Il dut sa conversion au hasard ou plutôt à la grâce : un jour que l’Évangile lui était tombé sous la main, il y jeta les yeux ; « aussitôt, dit-il, la lumière m’éclaira. » Engagé dès lors dans la doctrine nouvelle, il n’oublia jamais et ne chercha pas à cacher le souvenir de ses anciennes erreurs ; au contraire il semble prendre plaisir à s’humilier en les rappelant. « Ne me prenez pas pour un juste, dit-il sans cesse à ceux qu’il enseigne, je suis sorti de l’égout. » On nous dit qu’il essayait surtout de leur apprendre l’amour des pauvres. C’était pour lui la vertu suprême ; il la prêchait à tout le monde, et, pour rendre ses conseils plus efficaces, il s’était fait pauvre lui-même : c’est au moins ainsi que j’explique ce nom de « mendiant du Christ » qu’il s’était donné. Il devint pourtant évêque, on ne sait comment ni dans quel pays, et l’on ne sait pas non plus ce qu’il a fait pendant son épiscopat. Les renseignemens qu’on a sur lui sont, comme on le voit, fort incomplets ; ils laissent pourtant deviner une figure originale, comme il devait s’en trouver davantage dans ces temps primitifs, où les croyances étaient plus libres, la foi plus vivante et moins réglée.

Le caractère des œuvres répond à celui de l’auteur : c’est d’ordinaire un apôtre un peu rude et qui traite sans ménagement ceux qu’il veut convertir. Il est vif, ironique, emporté. Sa plaisanterie ne se pique pas d’être délicate, il a le rire bruyant et populaire. Par exemple il s’amuse beaucoup de la façon dont les païens représentent Mercure, avec son caducée à la main et sa sacoche au cou : « Courez vite, bonnes gens, dit-il à ses adorateurs, et tendez la main pour qu’il y verse son petit sac. Soyez sûrs qu’il va vous jeter quelque écu, et dansez d’avance de bonheur, comme si vous l’aviez déjà reçu. » La mésaventure d’Apollon avec Daphné le comble de joie ; il ne comprend pas qu’un dieu n’arrive pas à triompher d’une mortelle. « Le sot ! dit-il, il aime pour rien, gratis amat stultus ! » Il se demande comment il se fait qu’une divinité qui a des ailes se laisse ainsi vaincre à la course. « Si c’était un dieu véritable, il aurait pris le chemin des airs et serait arrivé le premier. Au contraire,