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lies des politiques imprévoyantes, et avant tout il a besoin de se sentir garanti contre des révolutions nouvelles. Il est intéressé à savoir si les institutions qu’on lui a données sont sérieuses, s’il peut se reposer dans la fixité qu’on lui promet. La France ne demande qu’à être rassurée, et voilà pourquoi tous ces récens orateurs des comices n’ont fait que s’inspirer de l’instinct, des intérêts réels du pays en lui parlant du caractère conservateur de la république nouvelle, pendant que M. Louis Blanc s’en allait l’autre jour, dans une guinguette de Saint-Mandé, fêter l’anniversaire de la république agitatrice de 1792, célébrer les merveilles de la convention, des assemblées uniques et omnipotentes, des comités de salut public. C’est le plus frappant contraste entre l’esprit de secte et l’esprit pratique.

Ce n’est point assurément que tous ces discours, dont l’agriculture est le prétexte, aient une égale importance ou qu’ils résolvent toutes les difficultés ; mais ils ont avant tout le mérite de répondre à une certaine attente du pays, d’être les signes expressifs d’une situation qui s’apaise, qui tend à prendre son équilibre dans ces conditions nouvelles créées par la force des choses plus encore peut-être que par la volonté des hommes. Ils montrent surtout où en sont les opinions, les partis et le gouvernement lui-même. De ces discours d’automne un des plus remarquables, un des plus significatifs sans aucun doute, est celui que M. le duc de Broglie a prononcé dans un comice de l’Eure, à Beaumesnil. M. le duc de Broglie a sur bien d’autres l’avantage d’être un esprit élevé et fin, de parler une langue correcte et habilement nuancée, de savoir en un mot ce qu’il veut dire et comment il doit le dire. C’est un des rares orateurs politiques d’aujourd’hui sachant parler français sans broncher dans un comice comme à l’assemblée. Il a de plus passé jusqu’ici pour un des chefs justement accrédités du parti conservateur, des opinions monarchistes. Il a été un des auteurs, peut-être le principal auteur du 24 mai, de cette grande tentative organisée pour préparer une restauration devenue bientôt impossible, et certainement il a du déployer de singulières ressources de dextérité et de souplesse pour maintenir cette majorité du 24 mai qui, après l’avoir élevé au pouvoir, a fini par lui manquer. Il y a un an à peine, il prononçait un de ses plus habiles discours pour arrêter au passage cette république qui frappait à la porte de l’assemblée sous la forme d’une proposition de M. Casimir Perier. Il a fait ce qu’il a pu jusqu’au bout en fidèle partisan de la monarchie constitutionnelle. — Eh bien ! M. le duc de Broglie, lui aussi, en vient à subir l’influence des choses, à se rallier sans trop marchander à ces lois nouvelles qui constituent la république avec des garanties énergiquement conservatrices. Il n’a point été des premiers à les voter, ces lois, il les accepte aujourd’hui avec une évidente loyauté, et le langage qu’il vient de tenir à Beaumesnil est assurément une des marques les plus frappantes du progrès des idées de conciliation. M. le duc de