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Les deux gars furent interrompus par leur père. — Allons vite, dit-il, à l’ouvrage ! Quant à ce porcher de malheur, si les loups l’ont mangé, c’est tant pis pour lui ; mais si je le retrouve vivant, je l’assomme. Il aura beau aller pleurer chez sa tante, elle est décidée à le faire coucher avec les cochons pour lui apprendre à faire le fier et le dégoûté.

Emmi, épouvanté de cette menace, se le tint pour dit. Il se cacha dans une meule de blé, où il passa la journée. Vers le soir, une chèvre qui rentrait à l’étable et qui s’attardait à lécher je ne sais quelle herbe lui permit de la traire. Quand il eut rempli et avalé deux ou trois fois le contenu de sa sébile de bois, il se renfonça dans les gerbes jusqu’à la nuit. Quand il fit tout à fait sombre et que tout le monde fut couché, il se glissa à son grenier et y prit diverses choses qui lui appartenaient, quelques écus gagnés par lui que le fermier lui avait remis la veille et dont sa tante n’avait pas encore eu le temps de le dépouiller, une peau de chèvre et une peau de mouton dont il se servait l’hiver, un couteau neuf, un petit pot de terre, un peu de linge fort déchiré. Il mit le tout dans son sac, descendit dans la cour, escalada la barrière et s’en alla à petits pas pour ne pas faire de bruit ; mais, comme il passait près de l’étable à porcs, ces maudites bêtes le sentirent ou l’entendirent et se prirent à crier avec fureur. Alors Emmi, craignant que les fermiers, réveillés dans leur premier sommeil, ne se missent à ses trousses, prit sa course et ne s’arrêta qu’au pied du chêne parlant.

— Me voilà revenu, mon bon ami, lui dit-il. Permets-moi de passer encore une nuit dans tes branches. Dis, si tu le veux !

Le chêne ne répondit pas. Le temps était calme, pas une feuille ne bougeait. Emmi pensa que qui ne dit mot consent. Tout chargé qu’il était, il se hissa adroitement jusqu’à la grosse enfourchure où il avait passé la nuit précédente, et il y dormit parfaitement bien.

Le jour venu, il se mit en quête d’un endroit convenable pour cacher son argent et son bagage, car il n’était encore décidé à rien sur les moyens de s’éloigner du pays sans être vu et ramené de force à la ferme. Il grimpa am-dessus de la place où il se trouvait. Il découvrit alors dans le tronc principal du gros arbre un trou noir fait par la foudre depuis bien longtemps, car le bois avait formé tout autour un gros bourrelet d’écorce. Au fond de cette cachette, il y avait de la cendre et de menus éclats de bois hachés par le tonnerre. — Vraiment, se dit l’enfant, voilà un lit très doux et très chaud où je dormirai sans risque de tomber en rêvant. Il n’est pas grand, mais il l’est assez pour moi. Voyons pourtant s’il n’est pas habité par quelque méchante bête.

Il fureta tout l’intérieur de ce refuge, et vit qu’il était percé par en haut, ce qui devait amener un peu d’humidité dans les temps de