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REVUE DES DEUX MONDES

— Où ?

— Dans ma maison ; si tu veux être mon fils, je te rendrai riche et heureux.

Emmi s’étonna beaucoup d’entendre parler distinctement et raisonnablement la vieille Catiche. La curiosité lui doimnit qu.’îlque envie de la croire, mais un coup de vent agita les branches au-dessus de sa tête, et il entendit la voix du chêne lui dire : N’y va pas !

— Bonsoir et bon voyage, dit-il à la vieille ; mon arbre ne veut pas que je le quitte.

— Ton arbre est un sot, reprit-elle, ou plutôt c’est toi qui es une bête de croire à la parole des arbres.

— Vous croyez que les arbres ne parlent pas ? Vous vous trompez bien !

— Tous les arbres parlent quand le vent se met après eux, mais ils ne savent pas ce qu’ils disent ; c’est comme s’ils ne disaient rien.

Emmi l’ut fâché de cette explication positive d’un l’ait merveilleux. Il répondit à Gatiche : — G’est vous qui radotez, la vieille. Si tous les arbres font comme vous, mon chêne du moins sait ce qu’il veut et ce qu’il dit.

La vieille haussa les épaules, ramassa sa besace et s’éloigna en reprenant son rire d’idiote.

Emmi se demanda si elle jouait un rôle ou si elle avait des momens lucides. Il la laissa partir et la suivit, en se glissant d’arbre en arbre sans qu’elle s’en aperçut. Elle n’allait pas vite et marchait le dos courbé, la tète en avant, la bouche entr’ouverte, l’œil fixé droit devant elle ; mais cet air exténué ne l’empêchait pas d’avancer toujours sans se presser ni se ralentir, et elle traversa ainsi la forêt pendant trois bonnes heures de marche, jusqu’à un pauvre hameau perché sur une colline derrière laquelle d’autres bois s’étendaient à perte de vue. Emmi la vit entrer dans une méchante cahute isolée des autres habitations qui, pour paraître moins misérables, n’en étaient pas moins un assemblage de quelques douzaines de taudis. Il n’osa pas s’aventurer plus loin que les derniers arbres de la forêt et revint sur ses pas, bien convaincu que, si la Gatiche avait un chez elle, il était plus pauvre et plus laid que le trou de l’arbre parlant.

Il regagna son logis du grand chêne et n’y arriva que vers le soir, harassé de fatigue, mais content de se retrouver chez lui. Il avait gagné à ce voyage de connaître l’étendue de la forêt et la proximité d’un village ; mais ce village paraissait bien plus mal partagé que celui de Gernas, où Emmi avait été élevé. G’était tout pays de landes sans trace de culture, et les rares bestiaux qu’il avait vus paître autour des maisons n’avaient que la peau sur les os. Au-delà il n’avait aperçu que les sombres horizons des forêts. Ce n’est donc