Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 11.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quels élémens principaux se compose cette civilisation dont nous sommes si fiers, nous trouvons, comme base et fondement de tout le reste, deux legs du passé sans lesquels il nous est impossible de comprendre le présent et qui nous ont fait ce que nous sommes, le christianisme et les lettres anciennes.

Si ces deux élémens ne sont pas parvenus à s’exclure, ils ont eu grand’peine à s’accorder. Jamais ils n’ont pu ni s’éliminer tout à fait l’un l’autre, ni s’unir parfaitement entre eux, et l’on peut dire que leur lutte compose depuis dix-huit siècles l’histoire morale de l’humanité. Tantôt c’est l’élément religieux qui l’emporte, comme au moyen âge ; tantôt les lettres anciennes reprennent le dessus, comme à la renaissance ; quelquefois aussi l’on cherche une combinaison savante qui les réunisse ensemble et fasse à chacun sa part, comme dans notre XVIIe siècle, mais jamais ni les défaites ni les victoires ne sont décisives. La lutte dure encore, et nous l’avons vue de nos jours se ranimer avec plus d’ardeur. Elle est aussi ancienne que le christianisme même ; dès les premiers temps, il y a eu dans la société chrétienne deux courans faciles à distinguer qui l’entraînaient en sens inverse. Tandis que les uns se sentaient plus attirés vers l’art antique et, quoiqu’il eût été si longtemps la parure du mensonge, cherchaient à s’en servir pour la défense de la vérité, les autres s’en éloignaient avec horreur, et ne voulaient pas souffrir que la doctrine nouvelle empruntât rien à la civilisation ancienne. Précisément ces deux tendances contraires se retrouvent comme personnifiées pour nous dans les deux plus anciens écrivains qu’ait produits la littérature chrétienne en Occident ; en étudiant ensemble, en opposant l’un à l’autre Minucius Félix et Tertullien, il nous sera facile de reconnaître combien, sur ces questions, les chrétiens étaient alors divisés.

Nous ne savons de Minucius Félix que ce qu’il nous en dit lui-même, et il parle fort peu de lui. Il était un avocat distingué de Rome et vivait probablement vers la fin des Antonins. Nous n’avons conservé de lui qu’un très court ouvrage, l’Octavius, où il défend la religion chrétienne, qu’il avait embrassée. Cet écrit est fait pour les gens du monde et de nature à leur plaire. L’apologie n’y est pas présentée sous une forme froide et dialectique ; c’est un petit drame, plein de détails agréables et vivans. Minucius et l’un de ses plus chers amis, Octavius, longtemps séparés, se retrouvent à Rome ; après deux jours passés dans des conversations infinies, ils vont se promener sur la plage d’Ostie en compagnie d’un ami commun, Cæcilius, qui est resté païen. Pendant qu’au lever du jour ils suivent le bord de la mer « caressée par l’air frais du matin qui ranime leurs forces, et joyeux de fouler le sable humide qui cède