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terminée et enlevée. Emmi suivit le père Vincent, qui s’en allait à cinq lieues de là, du côté d’Oursines, pour entreprendre une autre coupe dans une autre propriété.

Depuis le jour de la foire, Emmi n’était pas retourné dans ce vilain endroit et n’avait pas aperçu la Catiche. Était-elle morte, était-elle en prison ? Personne n’en savait rien. Beaucoup de mendians disparaissent comme cela sans qu’on puisse dire ce qu’ils sont devenus. Personne ne les cherche ni ne les regrette.

Emmi était très bon. Il n’avait pas oublié le temps de solitude absolue où, la croyant idiote et misérable, il l’avait vue chaque semaine au pied de son chêne lui apportant le pain dont il était privé et lui faisant entendre le son de la voix humaine. Il confia au père Vincent le désir qu’il avait d’avoir de ses nouvelles, et ils s’arrêtèrent à Oursines pour en demander. C’était jour de fête dans cette cour des miracles. On trinquait et on chantait en choquant les pots. Deux femmes décoiffées et les cheveux au vent se battaient devant une porte, les enfans barbotaient dans une mare infecte. Sitôt que les deux voyageurs parurent, les enfans s’envolèrent comme une bande de canards sauvages, leur fuite avertit de proche en proche les habitans. Tout bruit cessa, et les portes se fermèrent. La volaille effarouchée se cacha dans les buissons.

— Puisque ces gens ne veulent pas qu’on voie leurs ébats, dit le père Vincent, et puisque tu connais le logis de la Catiche, allons-y tout droit.

Ils y frappèrent plusieurs fois sans qu’on leur répondît. Enfin une voix cassée cria d’entrer, et ils poussèrent la porte. La Catiche, pâle, maigre, effrayante, était assise sur une grande chaise auprès du feu, ses mains desséchées collées sur les genoux. En reconnaissant Emmi, elle eut une expression de joie. Enfin, dit-elle, te voilà, et je peux mourir tranquille !

Elle leur expliqua qu’elle était paralytique et que ses voisines venaient la lever le matin, la coucher le soir et la faire manger à ses heures. Je ne manque de rien, ajouta-t-elle, mais j’ai un grand souci. C’est mon pauvre argent qui est là, sous cette pierre où je pose mes pieds. Cet argent, je le destine à Emmi, qui est un bon cœur et qui m’a sauvée de la prison au moment où je voulais le vendre à de mauvaises gens ; mais, sitôt que je serai morte, mes voisines fouilleront partout et trouveront mon trésor : c’est cela qui m’empêche de dormir et de me faire soigner convenablement. Il faut prendre cet argent, Emmi, et l’emporter loin d’ici. Si je meurs, garde-le, je te le donne, ne te l’avais-je pas promis ? Si je reviens à la santé, lu me le rapporteras ; tu es honnête, je te connais. Il sera toujours à toi, mais j’aurai le plaisir de le voir et de le compter jusqu’à ma dernière heure.